30 avr. 2020

Si doux et si tendres / Tan dulces y tan bellas


Le dernier recueil de poèmes d’Alfonsina Storni, traduits en français par Monique-Marie IHRY, et qui vient de paraître, est superbe d’émotions.
Le titre est “Le doux mal”; qu’il est doux l’amour à ses débuts, qu’il peut devenir amer par la suite…

Une variété de poèmes où, comme dans presque toute la poésie (la littérature aussi) sud-américaine, la nature est très présente.
Un enchantement.

Voici deux poèmes.

Deux mots

Cette nuit tu m’as dit à l’oreille deux mots
Ordinaires. Deux mots fatigués
D’être dits. Des mots
Qui, à force d’être anciens, deviennent nouveaux.
Deux mots si doux, que la lune 
Se dessinant entre les branches
S’est arrêtée dans ma bouche. Deux mots si doux
Que je n’essaye même pas de bouger pour enlever
La fourmi qui passe dans mon cou.
Des mots si doux
Que je dis sans le vouloir - oh, que la vie est belle! -
Si doux et si tendres
Qu’ils répandent des olives parfumées sur mon corps.

Si doux et si beaux
Que les doigts les plus longs de ma main droite
Bougent vers le ciel imitant des ciseaux.

Mes deux doigts aimeraient
Couper des étoiles.

Traduction: M-M Ihry

Le Paysage bleu, 1949 (gouache sur papier), Marc Chagall

Dos palabras

Esta noche al oído me has dicho dos palabras
Comunes. Dos palabras cansadas
De ser dichas. Palabras
Que de viejas son nuevas.

Dos palabras tan dulces que la luna que andaba
Filtrando entre las ramas
Se detuvo en mi boca. Tan dulces dos palabras
Que una hormiga pasea por mi cuello y no intento
Moverme para echarla.

Tan dulces dos palabras
?Que digo sin quererlo? ¡oh, qué bella, la vida!?
Tan dulces y tan mansas
Que aceites olorosos sobre el cuerpo derraman.

Tan dulces y tan bellas
Que nerviosos, mis dedos,
Se mueven hacia el cielo imitando tijeras.
Oh, mis dedos quisieran
Cortar estrellas.




L’or de la vie

De la corolle noire de la vie
Je fais souvent jaillir une petite étamine d’or.
Je féconde des fruits, je ferme le calice d’or,
Rit ma vie.

Je redeviens noire. Mais dans la nouvelle vie
Jaillit de nouveau la petite étamine d’or.
Rit ma vie
Lorsque viennent la toucher les papillons d’or.

Noirceur, ensuite l’or.
Précieux de la vie.

Traduction M-M Ihry

Alfonsina Storni

El oro de la vida

De la corola negra de mi vida
Suelo brotar, estambrecillo en oro.
Fecundo frutos, cierro el cáliz de oro,
Ríe mi vida.

Vuelvo a ser negra. Pero en nueva vida
Brota de nuevo estambrecillo en oro.
Ríe mi vida
Cuando la tocan mariposas de oro.

Negrura, luego el oro
Precioso de la vida.

 
LE DOUX MAL, Alfonsina Storni
Traduction de Monique-Marie Ihry
Éditions Cap de l’Etang

Merci.

25 avr. 2020

Vite! / ¡Rápido!


Serge Pey, né à Toulouse en 1950 de parents espagnols ayant fui le régime de Franco.
Nacido en Toulouse en 1950 de padres españoles, refugiados del régimen franquista.

Le trésor de la Guerre d’Espagne


Extraits de : Le linge et l’étendoir.

(Pour bien comprendre ces extraits il vous faut savoir que le linge était un signal pour les anti-franquistes cachés dans la montagne.)

Les voisins pensaient que ma mère était folle. Comment comprendre qu’elle étendait parfois le linge sur l’étendoir ou dans le champ, à même l’herbe, ou encore sur les branches des arbres ? Comment concevoir qu’elle le posait souvent à l’ombre ou en plein vent, maintenu par de gros cailloux, comme les points de ponctuation d’une phrase secrète?” 

_____________________________

“—Vite, enlève ta chemise et va l’étendre sur l’étendoir, ramène le linge qui reste. Vite… Dépêche-toi…
Je compris sa précipitation quand je vis, depuis notre jardin qui surplombait la route, une longue file de camions bleus de la gendarmerie.
Ainsi ma chemise faisait partie, elle aussi, d’une longue phrase. Elle était une lettre, peut-être un mot. J’étais fier. J’étais devenu une conjugaison, presque un verbe. J’existais dans le langage secret de ma mère, comme un mot important qu’elle n’avait encore jamais employé, puisque c’était la première fois qu’elle voulait laisser ma chemise seule sur l’étendoir. “

NB: Pour lire le magnifique chapitre entier “Le linge et l’étendoir”, c’est ici.
- Ce billet est réalisé "à quatre mains" avec Adrienne et sa traduction en néerlandais, passez chez elle!  
https://adrienne414873722.wordpress.com/2020/04/26/v-comme-vite-vlug

 




Dos extractos de La ropa y el tendedero

(Para entender estas lineas, hay que saber que la ropa era una señal de la madre para los anti-franquistas escondidos en la montaña)


Los vecinos pensaban que mi madre estaba loca. ¿Cómo entender que extendía la ropa a veces en el tendedero o en el campo, sobre la hierba, o en las ramas de los árboles? ¿Cómo concebir que a menudo la ponía en la sombra o al viento abierto, sostenido por unas piedras gordas, como los signos de puntuación de una frase secreta?”

_____________________________

-Rápido, quitate la camisa y ve a tenderla en el tendedero, trae la ropa que queda. Rápido...Date prisa.
Entendí su precipitación cuando vi, desde nuestro jardín que sobresalía de la carretera, un fila larga de camiones azules de la guardia civil.
Así mi camisa formaba parte, ella también, de una frase larga. Era una letra, tal vez una palabra. Estaba orgulloso. Me había convertido en una conjugación, casi un verbo. Yo existía en el lenguaje secreto de mi madre, como una palabra que, todavía, nunca había usado, ya que era la primera vez que quería dejar mi camisa sola en el tendedero.”
(Trad: Colo)

23 avr. 2020

Dans les rues de Barcelone / En las calles de Barcelona

C’est la seconde fois que Laurine Rousselet, poète, m’envoie un recueil de ses poèmes. Merci beaucoup!
Et un petit mot me disant que si je veux publier quelques vers sur mon blog, je peux y faire mon choix.

Ce choix est difficile. Elle se trouvait visiblement à Barcelona pendant les semaines d’insurrection indépendantistes,
En spectatrice elle déambule, est entraînée par la foule, entend les chants et les cris, visite la ville, et dans un style bien à elle, met tout cela en poème.
Peu à peu on est emporté par le rythme, très réussi, de ses mots et poèmes..

Es la segunda vez que la poetisa Laurine Rousselet me envía un libro de sus poemas. Muchas gracias!
Con una nota diciendo que si quiero puedo publicar unos versos en este blog, eligiendo lo que me gusta.

La elección es difícil. Ella se encontraba en Barcelona durante las insurrecciones independentistas.
Como espectadora deambula, se deja llevar por la muchedumbre, escucha las canciones y los gritos, visita la ciudad, y en un estilo muy propio, lo pone en versos y estrofas.
Poco a poco nos dejamos llevar por el ritmo, muy conseguido, de sus palabras, poemas.



Bribes de Barcelona.



l’itinérance au cœur tout change
la vitesse opère dans le corps
étrangère la rencontre triomphe
beauté perchée imaginaire lancé
le brouillard chante dans le dos

se promener dans Gràcia
Plaça de la Revolució Plaça de la Virreina
Carrer de Verdi jusqu’au Park Güell
toujours ce flottement perpétuel
parole réalité jouissance

demander à la peau d’attendre
blancheur secousses ferveur
jetée de cris
qui racontera l’histoire?

le petit matin remonte
dans les rues il y a brassage exposition
sourires signes de mains
courbes courses tressauts

la direction demeure de remonter vers le nord
Passeig de la Mare de Déu del Coll
vers la naissance
par deux fois le fleurissement

dans la circulation du Raval
regard étonnement proximité
la dissemblance des rues
Laurine Rousselet



Parc Güell*



la itinerancia en el corazón todo cambia
la velocidad opera en el cuerpo
extranjera el encuentro triunfa
belleza encaramada imaginario lanzado
la niebla canta en la espalda

pasearse por Gràcia
Plaça de ls Revolució de la Virreina
Carrer de Verdi hasta el parque Güell
y siempre esa vacilación perpetua
palabra realidad gozo

pedir a la piel que espere
blancura sacudidas fervor
gritos lanzados
quién contará la historia?

la madrugada sube
por las calles hay mezcla exposición
sonrisas signos de la mano
curvas carreras temblores

la dirección permanece subir hasta el norte
Passeig de la Mare de Déu del Coll
hacia el nacimiento
por dos veces la floración

en la circulación del Raval
miradas asombro proximidad
la disimilitud de las calles


(Trad: Colo)


Aujourd'hui c'est la San Jordi en Catalogne et ici, jour traditionnel où l'on offre une rose et un livre. Cette année hélas Les Ramblas seront vides...lisez ici  pour en savoir plus sur ce jour https://www.barcelona-tourist-guide.com/fr/evenements/sant-jordi/festival-de-la-sant-jordi-barcelone.html
*
*Foto: https://www.etsy.com/mx/listing/715342222/barcelona-parc-guell-art-print-parque?ref=review


19 avr. 2020

Lignes et couleurs / Lineas y colores

Derrière la maison / Detrás de casa.

Apaisant / Apaciguador



De gauche à droite: lavande, limonium, fenouil sauvage, aloe vera en fleur. et le reste...
De izquierda a derecha: lavanda, limonium, hinojo salvaje, aloe vera en flor, y el resto...



13 avr. 2020

La Talon de Fer", Jack London



Me voilà embarquée dans un exercice auquel je ne suis pas habituée: faire un billet sur un livre de mon choix mais d’un auteur précis, Jack London. Et ceci pour répondre à un challenge, celui de ClaudiaLucia.
Alors j’ai choisi “Le talon de fer”, roman fort éloigné de tout ce que j’avais lu de London.
Écrit en 1908, c’est l’histoire biographique du fictif Ernest Everhard, leader révolutionnaire aux États-Unis, capturé et assassiné en 1932 après une révolution ouvrière frustrée.


Le récit est écrit à la première personne, par Avis Cunningham, une jeune femme d’origine bourgeoise qui fait la connaissance d’Ernest, en tombe amoureuse (c’est réciproque) et découvre à travers lui la réalité misérable de la classe travailleuse, ouvrière aux États-Unis.

Je veux essayer de raconter simplement comment Ernest Everhard est entré dans ma vie, comment son influence sur moi a grandi jusqu’à ce que je sois devenue une partie de lui-même, et quels changements prodigieux il a opérés dans ma destinée ; de cette façon vous pourrez le voir par mes yeux et le connaître comme je l’ai connu moi-même, à part certains secrets trop doux pour être révélés.”

Les premiers chapitres analysent la réalité sociale aux États-Unis début XXºs., la pénétration des idées socialistes chez les ouvriers, la position complice du clergé avec l’oppression, l’immoralité de la bourgeoisie...L’objectif est la dénonciation du système d’exploitation capitaliste.
La position intellectuelle de J. London en faveur de la classe ouvrière est évidente ici.

C’est une femme amoureuse, admirative qui met son homme sur un piédestal, sans doute mérité.

Il se prodigua comme peu d’hommes l’ont fait, et toute sa vie ce fut pour les autres. Telle fut la mesure de sa virilité. C’était un humanitaire, un être d’amour. Avec son esprit de bataille, son corps de gladiateur, et son génie d’aigle, il était doux et tendre pour moi comme un poète. C’en était un, qui mettait ses chants en action.

Au-delà de l’histoire d’amour et de l’histoire politique, un futur dystopique y est décrit, à de nombreuses pages on se dit “mais oui, c’est ce qui est arrivé et arrive”!
London prédit dans ce roman l’imminente éclosion d’une guerre impérialiste (dans le roman entre les États-Unis et l’Allemagne) et comment de cette guerre surgit la première révolution socialiste triomphante (ici en Allemagne, non en Russie) et l’échec de l'insurrection prolétaire aux États-Unis. 

 

Cette lecture, à part peut-être un passage terrible et sanglant, m’a beaucoup intéressée, et m’a pas semblé ennuyeux du tout comme pourrait l’être un roman politique, car l’humain est au centre de tout le récit. Il fait réfléchir sur le présent (sans coronavirus!), le passé et le futur. Il nous laisse sur l’idée que la libération pour l’humanité du joug de l’exploitation est inévitable.
Quand?

9 avr. 2020

Eduardo Galeano, deux textes courts / Galeano, dos textos cortos

Eduardo Galeano, nous connaissons déjà cet écrivain Uruguayen, surtout pour son recueil de textes, souvent très courts, du "Livre des étreintes". 
Mais voici deux autres petits textes, lourds de sens, vous verrez.

Bajo el título “El miedo manda” , el uruguayo Eduardo Galeano denuncia en varios textos el uso del miedo como arma de poder.
 Aquí van dos, cortos. 



Sécurité   Eduardo Galeano

Elle nous vit, dormant. Dans le rêve d’Elena nous étions tous les deux à faire la queue, avec beaucoup d’autres passagers, dans un quelconque aéroport, car tous les aéroports sont plus ou moins les mêmes. Et chaque passager portait un oreiller sous le bras. En route vers une machine, qui nous attendait; les oreillers passaient sous la machine et la machine lisait les rêves de la nuit antérieure.

C’était une machine détectrice de rêves dangereux pour l’ordre public. 
(Trad:Colo)

Seguridad          Eduardo Galeano

Durmiendo nos vio. En el sueño de Elena estábamos los dos haciendo fila con muchos otros pasajeros en algún aeropuerto, quién sabe cual, porque todos los aeropuertos son más o menos todos iguales. Y cada pasajero llevaba una almohada bajo el brazo. Rumbo a una máquina, que nos esperaba, pasaban las almohadas bajo la máquina y la máquina leía los sueños de la noche anterior.
Era una máquina detectora de sueños peligrosos para el orden público.
 


Indices

On ne sait si cela s’est passé il y a un moment ou un siècle ou jamais.
À l’heure de se rendre à son travail un bûcheron découvrit qu’il lui manquait la hache.
Il observa son voisin. Le voisin avait tout à fait l’aspect d’un voleur de haches.
C’était clair: le regard, les gestes, la façon de parler.

Quelques jours plus tard le bûcheron trouva la hache qu’il avait perdue. Et quand il observa à nouveau son voisin, il constata qu’il n’avait rien d’un voleur de hache, ni dans le regard ni dans les gestes ni dans la façon de parler.
(Trad:Colo)


Indicios
No se sabe si ocurrió hace un rato o hace siglos o nunca.
A la hora de ir a trabajar un leñador descubrió que le faltaba el hacha.
Observó a su vecino. El vecino tenía todo el aspecto de un ladrón de hachas. Estaba claro: la mirada, los gestos, la manera de hablar.
Unos días después el leñador encontró el hacha que había perdido. Y cuando volvió a observar a su vecino, comprobó que no se parecía para nada a un ladrón de hachas, ni en la mirada ni en los gestos ni en la manera de hablar.

Note: 
Sous le titre “La peur commande” L’Uruguayen Eduardo Galeano dénonce dans plusieurs textes l’usage de la peur comme arme de pouvoir.
 Sur ce blog d'autres textes de E. Galeano.

3 avr. 2020

Des chemins ouverts / Caminos abiertos

Maruja Vieira ( 1922) est une poétesse, ex-journaliste et professeur d'université colombienne.


                                     El Rompido 2000 / Soledad Sevilla , 
http://www.soledadsevilla.com/inicio/el-rompido/



Temps défini


Il est bon que parfois la vie
nous dépouille de tout.
Dans l’obscurité les yeux apprennent
à y voir plus clair.
Quand la solitude est le vide intense
du corps et des mains,
il y a des chemins ouverts sur le plus profond
et sur le plus distant.
Dans le silence les voix aimées
renouvellent doucement leurs mots
et les murs veillent sur le bruit infini
des pas absents.
Les lèvres qui avant furent
lieu d’amour, apprennent, par ces après-midi silencieux,
la grandeur
de la chanson rebelle et angoissée.
Sur le haut des arbres, un vent en suspens,
un son de pluie. (...)
(Trad: Colo)
 
Soledad Sevilla El Rompido 2000, http://www.soledadsevilla.com/inicio/el-rompido/






Tiempo definido, Maruja Vieira
Está bien que la vida de vez en cuando
nos despoje de todo.
En la oscuridad los ojos aprenden
a ver más claramente.
Cuando la soledad es el vacío intenso
del cuerpo y de las manos,
hay caminos abiertos hacia lo más profundo
y hacia lo más distante.
En el silencio las amadas voces
renuevan dulcemente sus palabras
y los muros custodian el rumor infinito
de los ausentes pasos.
Los labios que antes fueran
sitio de amor en las calladas tardes
aprenden la grandeza
de la canción rebelde y angustiada.
Hay un viento en suspenso sobre los altos árboles,
un repique de lluvia (...)