25 sept. 2019

Cette héroïque peine bombardée / Esta heroica pena bombardeada


(Suite vie et poèmes de Rafael Alberti)
Vient ensuite une période créative, enthousiaste: dans la Résidence d’étudiants il s’unit à d’autres poètes tels F. Garcia Lorca, Miguel Herńandez, Pedro Salinas...et ensemble, envoûtés par le surréalisme, les rires et les idées folles, ils vont former ce bloc de poètes connus comme ceux de la Génération du ‘27.
Mais cette allégresse ne dure pas longtemps pour notre Rafael qui entre dans une crise existentielle spirituelle; il perd la foi, sa santé est fragile, il a des problèmes d’argent.
De là naît le recueil “Sur les anges” dont voici un poème. (deux autres sur le blog Ma Librairie de Claudialucia https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2009/04/rafael-alberti-sur-les-anges.html)



Sin título, Dalí, surrealismo



LE BON ANGE


Une année, déjà endormi,
quelqu’un d’inattendu
s’arrêta à ma fenêtre.
Lève-toi! Et mes yeux
virent des épées et des plumes.
Derrière moi monts et mers,
nuages, becs et ailes,
les crépuscules, les aubes.
Regarde-la là-bas! Son rêve,
suspendu au néant.
Oh désir, marbre fixe,
fixe lumière, fixes eaux
mobiles de mon âme!
Quelqu’un dit: Lève-toi!
Et me voilà dans ta demeure.
(Trad:Colo)
El ÁNGEL BUENO”
Un año, ya dormido,
alguien que no esperaba
se paró en mi ventana.
¡Levántate! Y mis ojos
vieron plumas y espadas.
Atrás montes y mares,
nubes, picos y alas,
los ocasos, las albas.
‹¡Mírala ahí! Su sueño,
pendiente de la nada.
¡Oh anhelo, fijo mármol,
fija luz, fijas aguas
movibles de mi alma!
Alguien dijo: ¡Levántate!
Y me encontré en tu estancia.


L’écriture de ce recueil l’aide à sortir de la crise. Et le voilà qui se lance en politique pour secouer, dit-il, la conscience endormie d’un pays qui s’achemine vers l’épisode le plus terrible de son histoire, la Guerre Civile. Sa poésie devient un lieu de combat, communiste.
Et c’est là qu’il rencontre, en 1930, une femme extraordinaire, María Teresa León, écrivaine, engagée, féministe avec laquelle il se marie. Elle dissipe tous ses doutes et il s’engage à fond dans la lutte contre le fascisme. 1936, la guerre éclate, il aide à mettre à l’abri des bombardements les tableaux les plus précieux du Prado, accueille les intellectuels de tous bords qui luttent pour la République.
Pour terminer pour aujourd’hui, ce poème à son chien, en pleine guerre.

 

À Niebla, Mon chien (1938)
"Niebla", toi tu ne comprends pas : c'est ce que
chantent tes oreilles,
le tabac innocent, naïf, de ton regard
et les longs flamboiements que dans le bois tu laisses,
en sautant, tendre éclair de rien échevelé.
Regarde ces chiens troubles, orphelins, circonspects,
qui, surgissant soudain des brumes déchirées,
traînent dans leurs timides pas désorientés
tout le récent effroi de leur maison en ruine.
Malgré ces fugaces voitures, sans convoi,
qui transportent la mort dans un caisse nue ;
et malgré cet enfant qui observe, réjoui,
la bataille là-haut, qui aurait pu l'assassiner ;
malgré le meilleur compagnon perdu, malgré
ma sordide famille qui ne comprend pas
ce que j'aurais voulu surtout qu'elle eût compris,
et malgré cet ami qui déserte et nous vend ;

"Niebla", mon camarade,
tu n'en sais rien, bien sûr, mais il nous reste encore,
au milieu de cette héroïque peine bombardée,
la foi, qui est la joie ; la foi : la joie, la joie.

A Niebla, Mi Perro
«Niebla», tú no comprendes: lo cantan tus orejas,
el tabaco inocente, tonto, de tu mirada,
los largos resplandores que por el monte dejas,
al saltar, rayo tierno de brizna despeinada.

Mira esos perros turbios, huérfanos, reservados,
que de improviso surgen de las rotas neblinas,
arrastrar en sus tímidos pasos desorientados
todo el terror reciente de su casa en ruinas.

A pesar de esos coches fugaces, sin cortejo,
que transportan la muerte en un cajón desnudo;
de ese niño que observa lo mismo que un festejo
la batalla en el aire, que asesinarle pudo;

a pesar del mejor compañero perdido,
de mi más que tristísima familia que no entiende
lo que yo más quisiera que hubiera comprendido,
y a pesar del amigo que deserta y nos vende;

«Niebla», mi camarada,
aunque tú no lo sabes, nos queda todavía,
en medio de esta heroica pena bombardeada,
la fe, que es alegría, alegría, alegría.

(Capital de la Gloria,1938)

19 sept. 2019

Arraché à la mer / Arrancado al mar


Rafael Alberti, né près de Cádiz en 1902, était un garçon enjoué, heureux, surtout près la mer. Et partout sauf à l’école des Jésuites où ses parents l’avaient inscrit. La discipline, les matières enseignées, c’était pas pour lui. 

 
Fundación R. Albert, Puerto de Santa María

Il a 13 ans quand son père, pour son travail, décide que la famille va vivre à Madrid. Le changement est radical, Rafael se sent déraciné et, convaincu de ses talents pour la peinture, il passe ses journées au Prado à copier des œuvres des grands maîtres.
Rafael Alberti Frisos de la danza Madrid 1920

C’est à la mort de son père, il a 18 ans, qu’il se rend compte qu’il exprime mieux tout ce qui bouillonne en lui, par des mots, des poèmes.

Voici le premier, qui exprime ce déracinement.

Marin à terre 1
La mer. La mer.
La mer. Rien que la mer !
Pourquoi m’avoir emmené, père,
à la ville ?
Pourquoi m’avoir arraché, père,
à la mer ?
La houle, dans mes songes,
me tire par le cœur
comme pour l’entraîner.
Père, pourquoi donc m’avoir
emmené
ici ?

«Marinero en tierra»1

El mar. La mar.
El mar. ¡Sólo la mar!
¿Por qué me trajiste, padre,
a la ciudad?
¿Por qué me desenterraste
del mar?
En sueños, la marejada
me tira del corazón.
Se lo quisiera llevar.
Padre, ¿por qué me trajiste
acá?

Marin à terre est son premier recueil . Alberti l’a proposé pour le Prix National de Littérature et il fut le lauréat. Le livre a été édité en 1925.  Il avait 23 ans. Et voilà, ça y est, il est entré dans le monde de la poésie . Alberti y gagne un peu d’argent et de notoriété, cela le conduit à rencontrer Garcia Lorca, Dali, Buñuel, et à publier dans des revues.
Sa santé est mauvaise, et il est obligé de vivre reclus pendant des mois. Il lit, écrit des poèmes, lyriques au début, et pose un regard sur la beauté des paysages, l’amour.

 
« L’aube de la giroflée ».
 
Tout ce que j’ai vu grâce à toi
-   l’étoile sur la bergerie,
le charriot de foin en été
et l’aube de la giroflée –
si tu me regardes est à toi.
 
     Tout ce qui t’a plu grâce à moi
-    le sucre doux de la guimauve,
la menthe de la mer sereine
et la fumée bleue du benjoin –
si tu me regardes est à toi »


El alba del Alhelí
Todo lo que por ti vi
- las estrellas sobre el aprisco,
el carro estival del heno
y el alba del alhelí-,
si me miras, para ti.

Lo que gustaste por mí
-la azúcar del malvavisco,
la menta del mar sereno
y el humo azul del benjuí-,
si me miras, para ti.

Nous poursuivrons en poèmes sa vie faite de lutte politiques et d’exils dans les prochains billets.

11 sept. 2019

Reste l'important / Queda lo importante



La première passion de Rafael Alberti, grand poète espagnol né en Andalousie en 1902, fut la peinture. Dans le prochain billet je vous raconterai sa vie, son œuvre, mais aujourd’hui c’est un poème où il évoque l’œuvre picturale de Gogh qui m’a attirée, amusée et fait frémir aussi.
Alors j’ai décidé de ne mettre aucune illustration, et si vous êtes comme moi, vous “verrez” les tableaux dont il parle.(à part les hirondelles qui ne me disent rien).

La primera pasión de Rafël Alberti, nacido en 1902, fue la pintura. En la próxima entrada os contaré su vida, su obra, pero hoy es un poema donde evoca la obra pictórica de Van Gogh que me atrajo, me divirtió.
Decidí pues no poner ninguna ilustración y, si sois como yo, “veréis” los cuadros de los cuales habla.

Van Gogh

Coup de pinceau
brûlé.
Source
de courant
apparent
désordonné.
Matinale
hirondelle
source.

Tourbillonne,
paysanne,
ondule.
Nuit en cercle roue,
bleuit
le bois.

Crépite,
petit chêne infini,
tison,
le paysage:
braise mouvante,
mer,
houle.

Nucléaire
démence en jaune,
pinceau couteau,
tournesol,
sanglant
jaune soleil,
violent
anneau.

Jaune des blés,
verte hallucination,
orange, vermillon,
métal,
crie,
cauchemar
mortel,
humble chaise.
Fleur,
chandelle
jaune.

Se coupe,
se recoupe
ta couleur,
s’exalte,
vole,
peintre.

Mais reste ce qui importe:
haute,
la trace.

(Trad: Colo)                                  Dans "À la peinture" 1948




Rafael Alberti Van Gogh

Pincelada
quemada.
Fuente
de aparente
corriente
desordenada.
Matutina,
golondrina
fuente.

Se arremolina,
campesina,
ondula.
Noche en círculo rueda,
azula
la arboleda.

Crepita,
carrasca infinita,
tizo,
el paisaje:
rescoldo movedizo,
mar,
oleaje.

Nuclear
demencia en amarillo,
pincel cuchillo,
girasol,
cruento
amarillo sol,
violento
anillo.

Gualda trigal,
verde alucinación,
naranja, bermellón,
metal,,
chilla,
pesadilla
mortal,
humilde silla.
Flor,
candela
amarilla.

Se corta,
se recorta
tu color,
se exalta,
vuela,
pintor.

Mas permanece lo que importa:
alta,
la estela.
en A la pintura, 1948





5 sept. 2019

Une faim inutile / Un hambre inútil



Dans ce poème, Pablo Neruda dit la nature, la mer, alliées à l’absence d'amour ou d'un amour plutôt. Lu à voix haute il sonne bien, très bien même en espagnol, je crois qu'en traduction il n'est pas trop mal non plus...
 
http://the-warriors-rpg.eklablog.com/pinede-a144892898



Ici je t’aime.
Dans les pins sombres se démêle le vent.
La lune étincelante luit sur les eaux vagabondes.
Et les jours, tous égaux, se poursuivent.
 
La brume se défait en figures dansantes.
Une mouette argentée se décroche du crépuscule.
Une voile parfois. Hautes, hautes étoiles.
 
Ou la croix noire d’un bateau.
Seul.
Je me lève parfois à l’aube, et même mon âme est humide.
Sonne, résonne la mer lointaine.
Voici un port.
Ici je t’aime.
 
Ici je t’aime, en vain te cache l’horizon.
Je t’aime encore parmi ces froides choses.
Parfois mes baisers vont sur ces graves bateaux
qui courent sur la mer sans
jamais arriver.
 
Je me vois oublié comme ces vieilles ancres.
Si tristes sont les quais lorsque le soir accoste.
Ma vie est fatiguée de sa faim inutile.
J’aime ce que je n’ai pas. Toi tu es si distante.
 
Mon ennui se débat dans les lents crépuscules.
Mais la nuit vient, chante
déjà pour moi .
La lune fait tourner ses rouages de songe.
 
Avec tes yeux me voient les étoiles majeures.
Du même amour que moi, les grands pins dans le vent
veulent chanter ton nom de leurs feuilles de fer.
 
Pablo NERUDA, Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée (1923-1924)
Trad Colo inspirée de celle de Pierre Thiollière

Aquí te amo.
En los oscuros pinos se desenreda el viento.
Fosforece la luna sobre las aguas errantes.
Andan días iguales persiguiéndose.

Se desciñe la niebla en danzantes figuras.
Una gaviota de plata se descuelga del ocaso.
A veces una vela. Altas, altas estrellas.

O la cruz negra de un barco.
Solo.
A veces amanezco, y hasta mi alma está húmeda.
Suena, resuena el mar lejano.
Este es un puerto.
Aquí te amo.

Aquí te amo y en vano te oculta el horizonte.
Te estoy amando aún entre estas frías cosas.
A veces van mis besos en esos barcos graves,
que corren por el mar hacia donde no llegan.

Ya me veo olvidado como estas viejas anclas.
Son más tristes los muelles cuando atraca la tarde.
Se fatiga mi vida inútilmente hambrienta.
Amo lo que no tengo. Estás tú tan distante.

Mi hastío forcejea con los lentos crepúsculos.
Pero la noche llega y comienza a cantarme.
La luna hace girar su rodaje de sueño.

Me miran con tus ojos las estrellas más grandes.
Y como yo te amo, los pinos en el viento, quieren cantar tu nombre con sus hojas de alambre.

Pablo Neruda