Ce
mois de juillet je pense lire quelques écrits de Colette
jamais lus.
Le
premier a été "Les vrilles de la vigne".
Je
vous mettrai des extraits de mes lectures et, aujourd'hui, ce qui
semble un simple conte prend un ton plus personnel si l'on sait qu'il
a été écrit peu après sa séparation d'avec Willy. Le recueil de
courts chapitres commence ainsi :
https://plandejardin-jardinbiologique.com/vigne-vierge-plantation-culture.html
Les
vrilles de la vigne
Autrefois, le rossignol ne
chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en
servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se
levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur
éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des
feuilles de lilas.
Il se couchait sur le coup de
sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les
vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme
jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol
dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête
inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil,
les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont
l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles
de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol
s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les
ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada
qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne
plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès
la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :
Tant que la vigne
pousse, pousse, pousse…
Je ne dormirai plus !
Tant que la
vigne pousse, pousse, pousse…
Il varia son thème,
l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce
chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir
insupportable de le voir chanter.
J’ai vu chanter un
rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas
épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter
en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de
toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux
désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses
qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends
encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les
trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux,
j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol
pris aux vrilles de la vigne :
Tant que la vigne pousse,
pousse, pousse…
Cassantes, tenaces, les
vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon
printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais
j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà
tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une
nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les
vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a
révélé ma voix.
Toute seule, éveillée dans
la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre
voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux
sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue,
j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce
qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma
voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…
Je
voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense,
tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et
m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit
sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri,
qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité
de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…
Je ne connais plus le somme
heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.
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NB. À partir de lundi prochain, sur France Inter (merci Dominique), à 8h55 du lundi au vendredi "Un été avec Colette": https://www.franceinter.fr/emissions/un-ete-avec-colette
Je voulais aussi vous signaler une artiste qui, fascinée par ces vrilles, en fait des bijoux:
https://tackglou.net/vrilles/