Monsieur Palomar « avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors » (Palomar, Italo Calvino, 1983)
El señor Palomar « había decidido que su principal actividad sería mirar las cosas desde fuera” (Palomar, Italo Calvino, 1983)
Voici aujourd’hui quelques extraits du chapitre intitulé « Le pré infini » que je dédie à tous ceux qui ont des pelouses…
Chez moi, vu le climat et la rareté de l’eau, c’est comme ça :
Hoy unos extractos del capítulo titulado « El prado infinito » que dedico a todos los que tienen un césped… En mi casa, debido al clima y la rareza del agua, es así:
Autour de la maison de monsieur Palomar, il y a un pré.
Mais ce n’est pas là un endroit où il devrait naturellement y avoir un pré : le pré est donc un objet artificiel composé d’objets naturels, c’est-à-dire d’herbes. Ce pré a pour fin de représenter la nature, et cette représentation-là s’est faite en remplaçant la nature propre du lieu par une nature naturelle en elle-même, mais artificielle par rapport au lieu. En somme : ça coûte cher ; le pré demande sans cesse des dépenses et de la fatigue : pour le semer, l’arroser, y mettre de l’engrais, le débarrasser des insectes, le faucher.
Alrededor de la casa del Sr. Palomar hay un prado. Pero no es ese un sitio donde debería naturalmente haber un prado: el prado es pues un objeto artificial compuesto de objetos naturales, es decir de hierbas. La finalidad de ese prado es representar la naturaleza y esa representación se ha hecho reemplazando la naturaleza propia del lugar por una naturaleza natural en ella misma pero artificial en relación con el lugar. Pero todo eso cuesta caro; el prado exige sin parar gastos y fatiga: sembrar, regar, abonar, desinsectar, segar.
Le pré, pour avoir un bel aspect, doit être une étendue verte uniforme : résultat non naturel auquel parviennent naturellement les prés voulus par la nature. Ici, en observant chacun des morceaux, on découvre l’endroit où le jet d’irrigation du tourniquet n’arrive pas, ainsi que l’endroit où, au contraire, l’eau pleuvant d’un jet continu fait pourrir les racines, l’endroit où les mauvaises herbes profitent de l’arrosage approprié.
El prado para tener un buen aspecto debe ser una superficie verde uniforme: resultado no natural al cual acceden naturalmente los prados queridos por la naturaleza. Aquí, observando cada parte del prado, vemos el sitio al que no llega el aspersor, así como aquel donde, al contrario, el agua cayendo en chorro continuo pudre las raíces, o el sitio, en fin, donde las malas hierbas se aprovechan de un riego adecuado.
Quand on commence à déraciner un chiendent, on en voit aussitôt pousser un autre un peu plus loin, et un autre, et un autre encore.
Il ne reste que les mauvaises herbes ? C’est bien pis encore : les mauvaises herbes sont entremêlées aux bonnes de manière si drue qu’on ne peut pas enfoncer les mains au milieu et tirer. On dirait qu’une entente complice s’est crée entre les herbes de semis et les sauvages, un relâchement des barrières imposées par les disparités de naissance, une tolérance à la dégradation. Certaines herbes sauvages n’ont point en elles-mêmes un air maléfique ou insidieux.
Pourquoi ne pas les admettre au nombre de celles qui appartiennent de plein droit au pré, et les intégrer à la communauté des herbes cultivées ? C’est le chemin qui mène à quitter le « pré à l’anglaise » et à se replier sur le « pré rustique » abandonné à lui-même. « Tôt ou tard, il faudra bien se décider à ce choix », pense monsieur Palomar ; mais il aurait l’impression de céder sur une affaire d’honneur.
Cuando se empieza a desarraigar una grama, enseguida aparece una un poco más lejos, y otra, y otra más.
¿Sólo quedan las malas hierbas? Todavía es peor: las malas hierbas se entremezclan con las buenas de una manera tan recia que es imposible meter las manos en medio y tirar. Se diría que un acuerdo cómplice se ha creado entre las hierbas de siembra y las salvajes, un relajamiento de las barreras impuestas por la disparidad del nacimiento, una tolerancia resignada a la degradación. Algunas hierbas salvajes no tienen en ellas mismas un aspecto maléfico o insidioso. ¿Por qué no admitirlas entre aquellas que pertenecen de pleno derecho al prado e integrarlas a la comunidad de hierbas cultivadas? Pero ese es el camino que lleva a abandonar el “prado a la inglesa” y replegarse al “prado rustico” abandonado a él mismo. “Pronto o tarde es lo que habrá que elegir” pensó el Sr. Palomar; pero tendría la impresión de ceder en un asunto de honor.
Palomar est devenu distrait, il n’arrache plus les mauvaises herbes, il ne songe plus au pré : il pense à l’univers. Il essaie d’appliquer à l’univers tout ce qu’il a pensé du pré. L’univers comme cosmos régulier et ordonné, ou comme prolifération chaotique. L’univers fini peut-être, mais innombrable, aux limites instables, qui ouvre en lui d’autres univers…
Palomar se ha vuelto distraído, ya no arranca las malas hierbas, ya no piensa en el prado: piensa en el universo. Intenta aplicar al universo todo lo que pensó del prado. El universo como cosmos regular y ordenado, o como proliferación caótica. El universo finito tal vez, pero innumerable, con límites inestables, que abre en sí otros universos…
Trad: MH y Colo
Photos:1 Colo 2 http://espacesvertshortion.blogs.sudouest.fr/la-pelouse/ 3 http://www.omafra.gov.on.ca/french/crops/facts/08-030w.htm