14 mai 2015

Juan Gelman, l'exil et le souvenir / Juan Gelman, el exilio y la memoria



Pour que ce grand poète qu'est Juan Gelman nous soit un peu mieux révélé dans toute sa nature : celle d'un homme qui, face aux atrocités et aux désespoirs de la vie a su résister non par la haine, la rancœur ou la soif de vengeance, mais par l'amour, la beauté, l'enfance. Et par la poésie qui les réunit tous. Une poésie qui, dans le bouleversement et l'intensité qui sont les siens, est un acte de vie interminablement jeté à la face de la mort”. Jacques Ancet, son traducteur.

Para que ese gran poeta Juan Gelman nos sea mejor revelado en su naturaleza: la de un hombre que, frente a las atrocidades y a las desesperanzas de la vida consiguió resistir, no por el odio, el rencor o la sed de venganza, sino por el amor, la belleza, la infancia. Y por la poesía que todos los reúne. Una poesía que, en la conmoción y la intensidad que le son propios, es un acto de vida interminablemente arrojado frente a la muerte.” J. Ancet. (trad: Colo)


Juan Gelman, Buenos Aires 1930 – Mexico 2014

Juan Gelman y su caricatura

Il se trouvait à Rome pour dénoncer les violations des droits de l'homme en Argentine sous Eva Perrón quand, le 24 mai 1976 il y eut un coup d'État qui imposa un “terrorisme d'État”, et on lui interdit de revenir dans son pays. Il passa sa vie dans diverses parties du monde. Exil.
Se encontraba en Roma para denunciar las violaciones de los derechos del hombre en Argentina bajo Eva Perrón cuando, el 24 de mayo 1976 hubo un golpe de Estado que impuso un “terrorismo de Estado”, y se le prohibió volver a su país. Pasó su vida en varias partes del mundo. Exilio.



 des devoirs de l'exil :
ne pas oublier l'exil /
combattre la langue qui combat l'exil !
pas oublier l'exil / autrement dit la terre /
ou la patrie ou bon lait ou mouchoir
où nous vibrions / nous vivions enfants /
pas oublier les raisons de l'exil /
dictature militaire / ou erreurs
commises par nous pour toi / contre toi /
terre dont nous sommes et qui nous étais
là à nos pieds / comme une aube étendue /
et toi / toi tout petit cœur qui regarde
n'importe quel matin comme un oubli /
non n'oublie pas d'oublier l'oubli

Sous la pluie étrangère, p.85 Tra: J. Ancet

de los deberes del exilio:
no olvidar el exilio/
combatir a la lengua que combate al exilio
no olvidar el exilio/o sea la tierra/
o sea la patria o lechita o pañuelo
donde vibrábamos/donde niñábamos/
no olvidar las razones del exilio/
la dictadura militar/los errores
que cometimos por vos/contra vos/
tierra de la que somos y nos eras
a nuestros pies/como alba tendida/
y vos/corazoncito que mirás
cualquier mañana como olvido/
no te olvides de olvidar el olvido

Son fils et sa belle-fille, enceinte, furent faits prisonniers. Lui fut tué et elle aussi après avoir accouché en prison de sa petite fille, Macarena, que J. Gelman retrouvera bien plus tard, en l'an 2000; ce fut une fête dans toute l'Argentine. Elle avait été donnée à un couple stérile...Juan Gelman n'avait jamais abandonné ses recherches.
Su hijo y su nuera, embarazada, fueron apresados. A él le mataron y a ella también pero después de haber dado a luz de una niña, Macarena, que encontró finalmente en el año 2000. Fue una fiesta en toda la Argentina. Había sido dada a una pareja estéril...Gelman nunca había dejado de buscarla.


Rincón de la memoria Margarita Garcéshttp://www.portaldearte.cl/agenda/pintura/2004/rincon_memoria.htm

Une femme et un homme emportés par la vie…
Une femme et un homme emportés par la vie,
une femme et un homme face à face
habitent dans la nuit, débordés par leurs mains,
ils s’entendent monter libres dans l’ombre,
leurs têtes reposent sur une belle enfance
qu’ils ont créée ensemble, pleine de soleil, de lumière,
une femme et un homme attachés par leurs lèvres
remplissent la nuit lente avec toute leur mémoire,
une femme et un homme plus beaux en l’autre
occupent leur place sur la terre.

(Trad: J. Ancet)



UNA MUJER Y UN HOMBRE

Una mujer y un hombre llevados por la vida,
una mujer y un hombre cara a cara
habitan en la noche, desbordan por sus manos,
se oyen subir libres en la sombra,
sus cabezas descansan en una bella infancia
que ellos crearon juntos, plena de sol, de luz,
una mujer y un hombre atados por sus labios
llenan la noche lenta con toda su memoria,
una mujer y un hombre más bellos en el otro
ocupan su lugar en la tierra.



Ce dernier poème pour aujourd'hui s'adresse, j'imagine, à sa petite-fille.
Este último poema para hoy se dirige, me imagino, a su nieta.


J, Gelman y Macarena, su nieta
J’écris dans l’oubli…
J’écris dans l’oubli
dans chaque feu de la nuit
chaque visage de toi.
Il y a une pierre alors
je t’y couche en moi,
personne ne la connaît,
j’ai fondé des villages dans ta douceur,
j’ai souffert de tout cela,
tu es hors de moi

 étrangère tu m’appartiens.



Escribo en el olvido...
Escribo en el olvido
en cada fuego de la noche
cada rostro de ti.
Hay una piedra entonces
donde te acuesto mía,
ninguno la conoce,
he fundado pueblos en tu dulzura,
he sufrido esas cosas,
eres fuera de mí,
me perteneces extranjera.


Liens en français où vous trouverez des détails de sa vie, de sa poésie, d'excellents articles:
http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article2204
http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2014/01/juan-gelman-une-parole-pour-lindicible.html
http://america-latina.blog.lemonde.fr/2014/01/20/largentin-juan-gelman-poete-des-disparus/

(suite la semaine prochaine)

31 commentaires:

  1. quelle horreur et quelle tristesse cette histoire de l'Amérique latine...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tragique, si près de nous dans le temps toutes ces horreurs, des familles, des pays si déchirés...

      Supprimer
  2. J'avais lu suite à ton billet précédent quelques éléments sur lui, une vie marquée par les épreuves, les drames. Dans l'esprit, sa manière d'être me fait penser à Primo Levi.

    Et ce poème, là, j'écris dans l'oubli, vraiment superbe.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour K, tu auras sans doute lu aussi que, malgré toutes ces épreuves, il est loin d'être un homme triste ou déprimé. Ici j'ai mis les poèmes qui correspondent à certains côtés, dramatiques, de sa vie, mais ce n'est pas le ton général de sa poésie.
      Rendez-vous la semaine prochaine donc, si tu veux.

      Supprimer
  3. N'oublions jamais que l'état français a exporté, en Argentine, les méthodes anti subversives expérimentées en Algérie et a formé les militaires à la torture et au renseignement.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je l'ignorais...no comment...

      Bon week-end Tunkasina, un beso à dame Sable aussi.

      Supprimer
  4. en lisant le mot exil je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à ces migrants entassés sur des bateaux qui sont prêts à risquer leur vie juste pour vivre non pas mieux mais un tout petit peu moins mal
    ce dernier poème est fulgurant

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comment ne pas y penser...pas un jour sans nouveaux arrivants à la dérive.
      Que faire?

      Supprimer
  5. Quelle terrible histoire. Il écrit magnifiquement bien. Il y a des êtres qui doivent être touchés par la grâce pour ne pas sombrer sous les épreuves, mais continuer à croire toujours aussi fort en la vie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, tu as raison....la grâce.
      Peut-être la poésie l'a-t-il plus aidée qu'on ne peut se l'imaginer aussi.
      Bon week-end Aifelle.

      Supprimer
  6. Un beau poète que la souffrance n'a pas empêché de chanter la liberté et l'amour. Merci, Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour toi qui aimes tant le Sud:

      VERS LE SUD

      Juan Gelman

      je t'aime/dame/comme le sud/
      un matin monte de tes seins/
      je touche tes seins et je touche un matin du sud/
      un matin comme un double parfum/

      du parfum de l'un se lève l'autre/
      ou bien tes seins comme double allégresse/
      de l'une reviennent les compagnons morts dans le sud/
      ils établissent leur dure clarté/

      de l'autre ils reviennent au sud/vivants de
      l'allégresse qui monte de toi/
      le matin que tu donnes comme de douces âmes volant/
      faisant âme l'air avec toi/

      je t'aime car tu es ma maison et les compagnons peuvent venir/
      ils soutiennent le ciel du sud/
      ils ouvrent les bras pour lâcher le sud/
      d'un côté leur tombent des furies/de l'autre

      grimpent leurs enfants/ils ouvrent la fenêtre
      pour qu'entrent les chevaux du monde/
      le cheval enflammé du sud/
      le cheval du délice de toi/

      la tiédeur de toi/femme qui existes
      pour que l'amour existe quelque part/
      les compagnons brillent aux fenêtres du sud/
      de ce sud qui brille comme ton coeur/

      tourne comme des astres/ou compagnons/
      tu ne fais que monter/
      quand tu lèves les mains au ciel
      tu lui donnes santé ou lumière comme ton ventre/

      ton ventre écrit des lettres au soleil/
      sur les murs de l'ombre il écrit/
      il écrit pour un homme qui s'arrache les os/
      il écrit liberté/

      Traduction : Jacques Ancet

      Supprimer
    2. C'est magnifique ! Merci beaucoup.

      Supprimer
  7. Destin tragique, . Pourquoi faut il tant de douleur pour avoir de si beaux écrits ?
    Superbe caricature du poète mais réalisée par qui ?
    Merci pour ton passage chez moi. Oui, j'espère que tu auras l'occasion d'aller visiter Albi car cette ville mérite vraiment qu'on si attarde. J'y reviendrai certainement. Fais moi signe quand tu y vas ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Chinou, même avec une loup, je n'ai pas réussi à savoir qui est l’auteur de la caricature...dommage.
      Je te ferai signe, ce n'est pas pour demain mais nous avons fort envie d'y aller, merci!

      Supprimer
  8. Quelle force de garder l'Amour en soi face à ce que l'Homme peut révéler de plus hideux : la haine, la destruction...
    Merci pour cette découverte!
    Belle soirée

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, et sur les photos de lui, il est souvent souriant...
      Merci pour ces mots, je m'en vais chez toi!

      Supprimer
  9. Bonjour chère Colo, je découvre ce merveilleux poète et le poème j'écris dans l'oubli est magnifique. Dans la vie, il est des personnes qui ont tant soufferts et se relèvent toujours. J'admire. Maintenant, il reste ses écrits.
    Un grand merci de ce beau billet.
    Gros bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Denise, le continent sud-américain a connu tant d'horreurs...
      Ses poèmes, tantôt ancrés dans sa tragique réalité, tantôt des hymnes à l'amour (prochain billet) me semblent si forts, si beaux.
      Bon dimanche, un beso

      Supprimer
  10. Je suis stupéfaite de constater une fois de plus que, comme le dit Denise, il y a des gens que d'horribles douleurs illuminent, on dirait que la lumière intérieure s'intensifie, vient à leur secours, et non seulement ils sont "rédemptés" mais aussi ils réchauffent les autres. Comme si c'était leur chemin de croix pour aider l'autre... Une vie édifiante!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une lumière interne, c'est bien ça je crois, sinon comment survivre, écrire?
      Bon dimanche Edmée, à bientôt.

      Supprimer
  11. Il y a des vies si dramatiques... et malgré tout ils mènent leur vie, résistent et sont là, debout !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Lou et nos petits soucis quotidiens semblent bien ridicules à côté de tout ça....
      Bonne semaine, un beso.

      Supprimer
  12. Nous savons à présent tout sur Juan Gelman ! Merci, c'est complet, vivant, émouvant.

    "quand tu passais par ma fenêtre/mai/ton automne sur le dos/et que tu faisais signe avec la lumière/des dernières feuilles/que voulais-tu me dire, mai ?"

    Aujourd'hui mai dit les paroles de l'argentin.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a aussi des mai en automne cher Christian...
      Merci pour ces mots, à bientôt.

      Supprimer
  13. L'exil...
    Ton billet me parle si fort.
    Une belle écriture qui résonne longtemps après l'avoir lue...
    Merci Colo et bel après-midi ! Bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a tant d'exils hélas Enitram. Mon mari, español, avait fui Franco, je l'ai rencontré en Belgique...tu sembles connaître le sujet toi aussi. Tant de souffrances.
      Un sujet qui, malheureusement, parle à tant de gens, chaque jour.
      Bon après-midi à toi aussi.

      Supprimer
  14. Quel article étonnant parti de cet arbre de poètes ouvert au monde après avoir déployé ses racines.
    Quelle force dans les mots, quelle mélodie et quel destin: savoir les siens partis sous le joug de la dictature et retrouver comme une flamme une partie de lui-même, des années après.
    Nous connaissons tous ces hommes et femmes qui ont fui qui l'Espagne(notre région proche en a accueilli beaucoup merveilleusement intégrés) Qui l' Amérique du Sud... Et maintenant c'est l'hémorragie au niveau mondial et il n'y a pas forcément de poète dont la voix porte pour dénoncer ce désastre planétaire.
    Belle découverte. Merci Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Maïté, nous vivons un moment d'exil pour tant et tant d'Africains, d'habitants du Moyen Orient, c'est terrifiant, oui.
      Sans y a-t-il des poètes que nous ignorons qui disent et crient...sûrement qu'il y en a.
      À bientôt Maïté, un beso

      Supprimer