22 oct. 2024

Sans souliers / Sin zapatos

 

Ce poème m'a fait penser à ma très vieille amie, Margarita, qui était analphabète.
Este poema me hizo pensar en mi amiga, muy mayor, Margarita, que era analfabeta.

Antònia Vicens nació en Santanyí (Mallorca) en 1941. Es novelista y poeta.
Née à Santanyí (Mallorca) en 1941, elle est romancière et poète.

Sorolla, el viejo pescador


 
Il avait toujours mal aux pieds

Les pieds le faisaient toujours souffrir
mon père.
C’est en boitant qu’il parcourait tous les magasins de chaussure
à la recherche de souliers confortables qui l’aideraient
à supporter le poids de toutes les blessures
déchirements et coupures
que la mer lui avait faits.
Il n’en trouva jamais. Il a dû s’en aller
pieds nus avec sa montre et son couteau
à couper le pain, à couper les larmes, dans la poche de la veste et
la figure blanche comme l’écume des vagues
tant de fois surfées.

Toujours il me le disait:
Je n’ai pas eu d’enfance.

Il ne se l’ôtait pas de la tête:
J’ai appris à écrire mon nom à la guerre

Sifflaient les balles glissaient les étoiles
de sang quand j’ai appris à écrire mon nom.
Je ne voulais pas être un aide-maçon quelconque

Et ma mère disait :
C’est un bel homme. Dommage
qu’il ne sache pas écrire. Toi
tu dois aller à l’école Antonia.Tu
ne dois pas être une ignorante comme ton père, ma fille.

Et le bleu de ses yeux se répandait sur ses joues quand,
diluvienne,
elle pleurait son absence.
(Traduction Colo) 

Alexander Ignatius Roche, the old fisherman


LOS PIES SIEMPRE LE DOLÍAN


Los pies siempre le dolían
a mi padre.
Cojeando recorría todas las zapaterías
buscando unos zapatos bastante cómodos que lo ayudaran
a sobrellevar el peso de  todos los daños
los desgarros y los cortes
que el mar le había hecho.
Nunca los encontró. Tuvo que marcharse
descalzo con el reloj de pulsera y el cuchillo
de rebanar pan de rebanar lágrimas en el bolsillo de la chaqueta y
una cara blanca como la espuma de las olas
que tantas veces montó.

Me lo decía siempre:
No tuve infancia.

No se lo sacaba de la cabeza:
Aprendí a escribir mi nombre en el frente.

Chillaban balas se deslizaban estrellas
de sangre cuando yo aprendía a escribir mi nombre.
No quería ser un peón cualquiera.

Y decía mi madre:
Es un hombre apuesto. Lástima
que no sepa escribir. Tú
tienes que ir a la escuela Antònia. No
tienes que ser un ignorante como tu padre hija.

Y el azulete de los ojos se le esparcía por las mejillas cuando
diluviana
lloraba su ausencia.

*
Traducción de Carlos Vitale*

L'original en catalan.

ELS PEUS SEMPRE LI FEIEN MAL /// Els peus sempre li feien mal / al pare. / Ranquejant recorria totes les sabateries / cercant unes sabates prou còmodes que l’ajudessin / a dur el pes de tots els traus / els treps i els talls / que la mar li havia fet. / No les va trobar mai. Va haver d’anar-se’n / descalç amb el rellotge de polsera i el ganivet / de llescar pa de llescar llàgrimes dins la butxaca del gec i / una cara blanca com l’escuma de les ones / que tantes vegades va muntar. / M’ho deia sempre: / No vaig tenir infància. / No s’ho treia del cap: / Vaig aprendre a escriure el meu nom al front. / Giscaven bales lliscaven estrelles / de sang quan jo aprenia a escriure el meu nom. / No volia ser un peó qualsevol. / I deia la mare: / És un home plantós. Llàstima / que no sàpiga escriure. Tu / has d’anar a l’escola Antònia. No / has de ser una ignorant com ton pare filla. / I el blavet dels ulls se li escampava per les galtes quan / diluviana / plorava la seva absència.

 
(reprise du billet de 2018)

9 commentaires:

  1. Ce beau poème est très émouvant, Colo, et j'aime beaucoup ton choix des vieux pêcheurs qui l'accompagnent.

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    1. Merci Tania, la génération des analphabètes d'ici a disparu ou presque totalement, heureusement.
      Bonne après-midi.

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  2. cet hommage vibrant est magnifique
    le texte et les photos me renvoient au roman de Steinbeck Les raisins de la colère même si ce n'est pas le même pays, cela montre que l'âme des hommes est partout la même

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  3. c'est très émouvant!
    et c'est un beau Sorolla pour l'accompagner :-)

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    1. Les mots d'Antònia Vicens m'ont émue aussi. Merci Adrienne

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  4. Ta traduction est belle et sensible, ce poème est vraiment touchant, surtout dans les temps que nous vivons et qui durent, et qui durent... Merci dame Colo, bises du mardi. brigitte

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    1. Avec plaisir et émotion, Brigitte.
      Nous sommes à l'abri, encore, mais hélas tant d'autres, des millions...Un beso du mardi

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  5. C'était un homme meurtri par l'écume et les vagues, qui regrettait amèrement l'enfance qu'il n'avait pas eu, et souffrait d'être analphabète. Toute une époque ! Des temps difficiles, y compris dans nos pays soi-disant développés, où les pauvres gens devaient être "durs au mal", s'ils voulaient survivre. Merci Colo, ce poème est très émouvant.

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