15 mai 2023

Séparés / Separados


 Souffrir, accepter, se consoler puis reprendre sa route, seul(e). 

Ce second poème de Luis García Montero, qui a donné le nom à son recueil (1994)

où il ne parle pas ici du décès de sa chère compagne, Almudena Grandes, 

mais d'une séparation amoureuse. Qui n'en a pas vécu ?



CHAMBRES SÉPARÉES

Luis García Montero

 

Il est seul. Pour suivre sa route

il se montre détaché des choses.

Il va sans provisions.


Quand les jour passent

et le soir, il pense à ce qui s’est produit,

seule l’émeut

cette réussite imprévue

d’avoir pu vivre sa propre vie

suivant le sûr hasard de sa conscience,

ainsi, naturellement, sans dettes ni drapeaux.


Un jour il a dit amour

Ses lèvres se peuplèrent de cendre.

Il a dit aussi demain

les yeux aveugles au présent

et il n’eut que des ombres à serrer dans la main,

seulement des fantômes

un chemin de nuages. 

 

Solitude, liberté,

deux mots qui, souvent, pèsent

sur les épaules blessées du voyageur.

De tout il se charge, de rien il ne se convainc.

Ses traces ont aujourd’hui la brûlure

des rêves vides.

 

Il ne veut pas renoncer. Pour suivre son chemin

il accepte que la vie se réfugie

dans une chambre qui n’est pas la sienne.

La lumière reste toujours derrière une fenêtre.

De l’autre côté de la porte

il écoute souvent les pas de la nuit.

Il sait qu’il lui faut

apprendre à vivre un autre âge,

un autre amour,

un autre temps. 

 

Temps de chambres séparées.


(Trad: Colo)


 

Habitaciones separadas    L. García Montero


Está solo. Para seguir camino

se muestra despegado de las cosas.

No lleva provisiones.

 

Cuando pasan los días

y al final de la tarde piensa en lo sucedido,

tan sólo le conmueve

ese acierto imprevisto

del que pudo vivir la propia vida

en el seguro azar de su conciencia,

así, naturalmente, sin deudas ni banderas.

 

Una vez dijo amor.

Se poblaron sus labios de ceniza.

Dijo también mañana

con los ojos negados al presente

y sólo tuvo sombras que apretar en la mano,

fantasmas como saldo,

un camino de nubes.

 

Soledad, libertad,

dos palabras que suelen apoyarse

en los hombros heridos del viajero.

De todo se hace cargo, de nada se convence.

Sus huellas tienen hoy la quemadura

de los sueños vacíos.

 

No quiere renunciar. Para seguir camino

acepta que la vida se refugie

en una habitación que no es la suya.

La luz se queda siempre detrás de una ventana.

Al otro lado de la puerta

suele escuchar los pasos de la noche.

Sabe que le resulta necesario

aprender a vivir en otra edad,

en otro amor,

en otro tiempo.

 

Tiempo de habitaciones separadas

 

De "Habitaciones separadas " Colección Visor de poesía, p11.12






 

 

33 commentaires:

  1. Songeuse en m'arrêtant au "sûr hasard de sa conscience". Solitude et souffrance semblent se confronter sur ce chemin de liberté.

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    1. Bonjour Tania, suivre le sûr hasard de sa conscience...c'est sans doute ce que l'on fait, avec bonheur ou pas, quand on est jeune je crois. Il y a de quoi réfléchir, oui.
      Les séparations amènent, surtout dans un premier temps, solitude et souffrance, la liberté, son plaisir, ne se constatent qu'après ai-je remarqué autour de moi.

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  2. savoir que dire "demain" est assez vain, c'est un dur apprentissage

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  3. Talentueux ce poème, la douleur semble explorée totalement....

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    1. Luis Garcia Montero est un des grands poètes espagnols contemporains, j'envie son art de dire simplement et si bien, ce poème est très réussi, oui.

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  4. Bonjour Colo, je trouve ce poème d'une intensité incroyable, je crois que je vais le relire et le relire. Merci beaucoup pour cette merveilleuse découverte. à bientôt Claude

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    1. Bonjour Claude, intensité, tu as raison, plus je le relisais pour le traduire, plus je la percevais. Avec grand plaisir donc. À bientôt, oui!

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  5. un beau poème empli de mélancolie

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    1. Bonjour Niki, oui, il nous prend ce poème qui décortique les sentiments, l'avenir.

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  6. "Quand les jour passent et le soir, il pense à ce qui s’est produit,seule l’émeut cette réussite imprévue d’avoir pu vivre sa propre vie...":
    Une émotion et prise de conscience pas évidente quand on vient de perdre un amour

    "suivant le sûr hasard de sa conscience,": un paradoxe qui semble interroger le destin, "la liberté" et l'acception d'un temps de "solitude"
    Merci Colo pour ces belles découvertes.
    Bises pluvieuses
    fifi

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    1. Hola Fifi, LGMontero semble avoir fait de tour de la situation , nouvelle et douloureuse, du séparé. Un poème que je trouve superbe. Un beso "pleuvineur".

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  7. Quel poème ! quelle hauteur de pensée avec cette sorte de mélancolie lucide très singulière. J'aime beaucoup (kwarkito)

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    1. Ah je suis contente que tu l'apprécies Kwarkito !

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  8. Un très beau poème, qui dit toute la douleur d'un temps qui s'achève, sans que l'on devine encore celui qui va venir et sans même l'envisager. Bonne journée Colo, bises.

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    1. C'est ça, oui Aifelle, ça me fait plaisir que tu l'aies apprécié. Bonne journée à toi aussi, enfin de la pluie ici.

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  9. Coucou. Une rupture amoureuse qui terrasse, certes on en a certainement toutes et tous vécues mais dans ce poème, je retrouve certains sentiments qui m'avaient terrassée. Bises alpines.

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    1. Hola Dédé, chaque rupture est différente et je comprends bien ce que tu dis. Un beso meditarraneo

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  10. Comme j'aime ce poème qui me fait penser à Anna de Noailles. même avec les années d'écart le ton finalement est le même

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    1. Merci Dominique, je viens de relire ou lire certains poèmes d'ellee, et oui, j'y trouve des idées communes.

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  11. "Ses traces ont aujourd’hui la brûlure

    des rêves vides." Combien de traces restent des brûlures des cicatrices à vif dans les nuits de nos vies!"

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    1. Traces, cicatrices, heureusement le temps atténue....Bonne soirée marie.

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  12. "avoir pu vivre... sans dettes ni drapeaux"

    par delà les déchirures, un beau chemin de vie.......

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  13. "un chemin de nuages" dans lequel on s'enfonce jusqu'aux yeux. les ruptures quelles qu'elles soient sont ambivalentes : douloureuses mais porteuses de renouvellement. Merci Colo

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    1. Bonjour Zoë, bien d'accord, il y a des étapes à passer avant ce renouvellement, et tout n'est pas négatif, parfois c'est mème le contraire.
      Bon week-end à toi.

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  14. J'aime beaucoup la 2ème strophe : "Cette réussite imprévue d'avoir pu vivre sa propre vie suivant le sûr hasard de sa conscience ainsi naturellement sans dettes ni drapeaux". Ah ! si nous pouvions y parvenir !

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    1. C'est ma préférée aussi cette deuxième strophe, comme l'écrivait plus haut Soulilouve, "avoir pu vivre... sans dettes ni drapeaux", c'est "un beau chemin de vie".

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  15. Qu'il est difficile de tourner la page mais la vie continue et le seul chemin est celui de la fin du livre...
    Un poème très fort qui dit tout !
    Bon dimanche à toi !

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  16. C'était moi l'anonyme !

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  17. Belle illustration de cet état si particulier.
    Merci pour ce texte, Colette, et bon dimanche.

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