24 sept. 2021

Seul un papier fin nous unit encore / Solo un papel fino aún nos une

 

JoanMargarit, grand poète catalan né en 1938 à Lerida, écrivit en espagnol du temps de Franco puis peu à peu en catalan et il traduisit lui-même ses poèmes dans cette langue.

Pas grand chose de traduit en français si ce n’est, publié en 2016 ,“Leçons de vertige”, un bel article à lire ici.

Cette semaine et la suivante, deux poèmes traitant du même sujet: les lettres d’amour…ces lettres qu’on relit cent fois, qu’on garde parfois toute la vie. Pas vous ?

Voilà le premier.

 

La lettre



Tu regardais toujours vers l’avant

comme si la mer s’y trouvait. Tu créais

ainsi un mouvement de vagues

étrange et mythique sur une plage. 

 

Nous unissait la force dangereuse

qui donne à l’amour la solitude.

Tremble encore entre mes doigts,

de façon imperceptible, ce papier. 

 

Chemin abandonné entre toi et moi,

couvert de lettres, feuilles mortes.

Mais je sais que le chemin perdure.

Si j’abandonne la main sur le petit tas,

je la sens reposer sur ton dos. 

 

Tu regardais souvent vers l’avant

comme si la mer y était, déjà transformée

en une voix fatiguée, rauque et chaude.

Peu nous unit encore: seul le tremblement

de ce papier si fin entre les doigts.

(Trad: Colo)

 

La carta de Joan Margarit

Mirabas siempre hacia adelante
como si allí estuviese el mar. Creabas
de esta manera un movimiento de olas
ajeno y mítico en alguna playa.
Nos unía la fuerza peligrosa
que da al amor la soledad.
Aún hace temblar entre mis dedos,
de forma imperceptible este papel.
Camino abandonado entre tú y yo,
cubierto por las cartas, hojas muertas.
Pero sé que el camino persiste.
Si abandono la mano sobre el pequeño fajo,
la siento descansar sobre tu espalda.
Solías escuchar hacia adelante
como si allí estuviese el mar, ya transformado
en una voz cansada, ronca y cálida.
Poco nos une aún: sólo el temblor
de este papel tan fino entre los dedos.





27 commentaires:

  1. Un poème que je trouve puissant et qui me parle beaucoup. Je trouve exceptionnellement belle cette métaphore des vagues de l'écriture... oh la la ! mais quel cadeau en ce samedi matin ! D'autant que justement je voulais en parler, des lettres, sur mon blog, ces lettres qu'on garde dans des boîtes, liées par un ruban, ou pour une ou deux, dans le portefeuille...
    De l'émotion par ici ce matin, vraiment.

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    1. Ces vagues m'ont fait penser, toi peut-être aussi, aux arrivées régulières (ou pas) du facteur qui apporte ces missives tant attendues et qui provoquent ces houles d'émotions...

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    2. Oui, c'est ça aussi. Guetter le passage du facteur...

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  2. comme Marie je suis sensible à ces lettres, un temps que l'on ne reverra pas hélas, plus personne n'écrit aujourd'hui, plus de traces plus de douceur et émotion à déplier une lettre mille fois lue avec des plis tellement marqués que l'on a peur qu'elle s'effrite
    ce poème est splendide et j'attends le deuxième impatiemment

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    1. Parfois, pour le 1º janvier, on reçoit encore quelques cartes, mais ce n'est pas du niveau de cette douceur dont tu parles...

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  3. Un poème qui me semble plein de nostalgie et si beau à propos du toucher "Peu nous unit encore: seul le tremblement de ce papier si fin entre les doigts." On a l'impression de l'avoir entre les mains. Bon dimanche Colo, bises.

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    1. Bonjour Aifelle, oui le toucher m'a frappée aussi dans "Si j’abandonne la main sur le petit tas,

      je la sens reposer sur ton dos.". Si sensuel et romantique. Bon dimanche à toi aussi.

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  4. J'aime ce poème, un parmi d'autres, qui me parlent! Bisous

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    1. Peut-être, toi aussi, grades-tu des lettres anciennes...bonne semaine Val, un beso

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  5. Les doigts, la main sur le papier, le contact avec une lettre qui a été touchée de même par l'autre qui y a promené sa main, oui, cela peut faire trembler d'émotion, d'amour, d'amitié. Merci pour ce beau poème, Colo.

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    1. Lien direct entre l'écrit et le corps...Bonne journée Tania.

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  6. Nostalgie d'un temps pratiquement révolu, poser l'acte d'écrire, ce n'était pas rien !
    Lettre... l'Être... Il y avait du dévoilement sur les fines feuilles de papier, merci Colo pour ce très beau billet. Bises, à bientôt. brigitte

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    1. Souvenirs aussi, émouvants, souvent...Bonne semaine Brigitte, douceur du temps ici, chez toi aussi j'imagine !

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  7. Magnifique et magnétique si j'ose ! Merci.

    A un moment où nous semblons redécouvrir certaines choses que nous avions - pour certains peut-être - imprudemment ou négligemment remisées, au nom notamment d'un prétendu progrès, qui sait si cette belle pratique ne va-t-elle pas retrouver quelque place dans nos vies ?

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    1. Qui sait ? Ce serait bien de recommencer à prendre le temps d'écrire, de chercher un timbre et une boîte aux lettres et d'attendre, patiemment, la réponse. D'avoir plus qu'une adresse-mail...

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  8. ....Tu me diras si le plat t'a plu. Gros bisous et bonne régalade

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  9. Des traces sur le papier...émotions d'une vie...

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  10. Merci Colo pour ce poème si sensuel !
    Il est riche de caresses, de tremblements, de nostalgie...
    Belle soirée !

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    1. C'est bien comme ça que je l'ai lu moi aussi chère Claudie.
      Bonne journée, soleil ici.

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  11. Un immense merci de ton commentaire sous ma recette, et ce retour. Gros bisous

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  12. Magnifique poème ♥♥♥ Merci Colo !

    "Si j’abandonne la main sur le petit tas,
    je la sens reposer sur ton dos"
    Quand la nostalgie prend corps ! Quelle image forte, tout comme :
    "Peu nous unit encore: seul le tremblement de ce papier si fin entre les doigts."

    Nos mails aussi peuvent traduire des sentiments mais l'écriture d'une personne est bien la plus belle traces d'un être. Et puis l'enveloppe avec le timbre choisi. Quoi de plus beau.

    Bises automnales et nostalgiques :-)

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    1. Toute cela donne envie de réécrire de vraies belles lettres...
      Merci Fifi, un beso, bonne semaine

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  13. Je n'ai jamais trouvé les lettres d'amour de mes parents, ils ne s'écrivaient pas puisqu'ils travaillaient ensemble, ce doit être la raison. Par contre, j'ai une lettre d'amour du père de mon père, écrite à la mère de mon père, quand ils étaient fiancés, mais la guerre 14-18 les a séparés un bon moment. Merci pour le partage de ce poème magnifique.

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    1. À garder précieusement, c'est très émouvant, un témoignage aussi.
      Merci à toi Élisabeth.

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