9 nov. 2023

Les joies infimes / Las alegrías ínfimas

 

Une Chronique publiée dans El Pais en 2012 de Manuel Vicent . Elle ne peut pas nous faire de mal !

Una crónica de Manuel Vicent que nos puede venir bien.


"Un jour dans le bar Gijón j'ai surpris un poète maudit, plongé dans ses pensées. Je lui ai demandé si la gravité de son visage se devait à l'élaboration d'un vers brillant. “C'est ça”, m'a-t-il répondu. “En ce moment je me débats dans un doute: me tirer un coup de revolver dans la bouche ou manger une glace à la fraise”.

Au monastère de Kopan, dans la vallée de Katmandou, un Maître Vénérable m'a dit: si tu veux savoir jusqu'à quel point tu es heureux et tu ne le sais pas, achète-toi un carnet et écris chaque nuit cinq petits faits agréables qui te sont arrivés pendant la journée. Ne note que les sensations plaisantes et insignifiantes, les joies infimes, pas les rêves démesurés. 

Ce matin le soleil à la fenêtre m'a éveillé et j'ai remarqué que cette fois je n'avais pas mal au dos. Le chien m'a salué de la queue. Le patron du bar, où j'ai l'habitude de petit déjeuner en lisant le journal, a refusé de me faire payer la ration de churros. J'ai lu la chronique sportive: hier mon équipe a gagné. L'autobus est arrivé à l'heure et à l'arrêt les mots d'amour d'une mère à sa petite fille qui partait à l'école m'ont ému. (…)

Le Vénérable Maître assura qu'après un temps se formerait dans ce carnet un tissu basique d'actes heureux, de subtils plaisirs éphémères, très consistant, qui, sans que nous nous en rendions compte, soutient fermement toute notre vie et résout au passage le doute du poète.

Pour le moment il suffira pour éviter qu'il ne se suicide.

Il se peut que ce ne soit que cette charlatanerie qui se répand tandis que brûlent les traditionnels bâtons de musc et encens et que cela ne serve qu'à oublier la terrible et injuste cruauté qui nous entoure.

Mais le Vénérable Maître, au milieu de cet air transparent qui descendait de l'Himalaya, dit que de toutes les flèches funestes que la vie nous lance quasi aucune n'atteint son but. Elles tombent autour de nous et c'est nous qui les arrachons du sol et nous les clouons dans le cœur, l' esprit, ou dans le sexe. Peut-être cet enseignement pourrait-il servir au poète pour enfiler un de ses vers les plus éminents: paraît le soleil, je suis vivant."

(Trad:Colo)

 

{Écrivain prolixe, très peu de ses romans sont traduits en français, mais parmi eux La Balade de Caïn: basé sur le vieux thème du fratricide qui imprègne la culture judéo-chrétienne, et depuis la Genèse jusqu'à New York, c'est un roman sensuel, lyrique et sensible. La recherche des mots et du style, si neuf, – on a parlé de “poète de la prose” - rendent sa lecture délicieuse. }

 

 

Fundación Miró, Mallorca, foto Colo

Foto Colo


 

 

"Un día en el café Gijón sorprendí a un poeta maldito, absorto en sus pensamientos. Le pregunté si la gravedad de su rostro obedecía a que estaba elaborando algún verso insigne. “Así es”, me contestó. “En este momento me debato en la duda de pegarme un tiro en la boca o tomarme un helado de fresa”.
En el monasterio de Kopan, en el valle de Katmandú, me dijo un Maestro Venerable: si quieres saber hasta qué punto eres feliz y no lo sabes, cómprate una libreta y apunta en ella cada noche cinco pequeños hechos agradables que te hayan sucedido durante el día. Anota solo las sensaciones placenteras insignificantes, las alegrías ínfimas, no los sueños desmesurados. 

 
Esta mañana me ha despertado el sol en la ventana y he comprobado que esta vez no me dolía la espalda. El perro me ha saludado con el rabo. El dueño del bar, donde suelo desayunar hojeando el periódico, hoy se ha negado a cobrarme la ración de churros. He leído la crónica deportiva: ayer ganó mi equipo. El autobús ha llegado puntual y en la parada me han conmovido las palabras de amor que una madre le dirigía a su niña que se iba al colegio. (...)


El Maestro Venerable aseguró que después de un tiempo en esa libreta se habrá formado un tejido básico de actos felices, de sutiles placeres efímeros, muy consistente, que sin darnos cuenta sustenta firmemente toda nuestra vida y de paso resuelve la duda del poeta.

De momento bastará con un helado para evitar que se pegue un tiro.

Puede que esto no sea más que esa charlatanería que se expande mientras arden las consabidas barritas de almizcle e incienso y que solo sirve para olvidar la terrible crueldad e injusticia que nos rodea.

Pero el Maestro Venerable, en medio de aquel aire transparente que bajaba del Himalaya, dijo que todas las flechas aciagas que la vida nos lanza casi ninguna da en el blanco. Caen a nuestro alrededor y somos nosotros los que las arrancamos del suelo y nos las clavamos en el corazón, en la mente o en el sexo. Tal vez esta enseñanza podría servir al poeta para enhebrar uno de sus versos más excelsos: sale el sol, estoy vivo."

                    

             --------------------------------------------------------------------


{Escritor muy prolijo, me encantó la novela La Balada de Caín; basada en el viejo tema del fratricidio que impregna la cultura judeocristiana, y eso desde la Génesis hasta Nueva York, es una novela sensual, lírica y sensible. La búsqueda de palabras y de un estilo tan nuevo – se habló de un “poeta de la prosa” - hacen su lectura deliciosa.}




 

  


35 commentaires:

  1. Oui! S'attacher aux petits bonheurs fait le grand bonheur d'une journée, d'une vie. On devrait s'en rappeler plus souvent! Merci pour cette traduction qui donne du baume au coeur. Bises alpines.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je dirais que faire attention à ces momentitos beaux, doux, agréables, rend le reste plus supportable, léger.
      Déjà ça m'a fait du bien de la traduire:-)).
      J'espère que la montagne continue à te donner de ces jolis moments Dédé, un beso mediterraneo.

      Supprimer
  2. Récolter les joies infimes d'une journée, un beau projet...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ça, pour finir la journée avec du positif.

      Supprimer
  3. la petite verrière9 novembre 2023 à 19:05

    Je note parfois les petites joies d'une journée. En étant plus régulière, je peux avoir un "tissu basique d'actes heureux" comme dit ton poète, un doux carnet, un baume pour les temps difficiles.
    Magnifique cette photo de la fenêtre asymétrique !
    Merci Colo pour tout, un beso.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un baume, c'est ça, pour parer ces flèches qui tombent autour de nous...Un beso Claudie, bonne fin de semaine

      Supprimer
  4. "Paraît le soleil, je suis vivant". Il faudrait en avoir pleinement conscience à chaque moment, afin de neutraliser les flèches que nous recevons. Cela pourrait aussi s'exprimer par l'adage bien connu : "Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir " Et même si dans la pratique quotidienne, il n'est pas toujours évident de pouvoir en tirer les conséquences, il s'agit d'une philosophie altruiste inspirée de l'école tibétaine qui fait du bien, car elle est "à hauteur d'homme"
    Bonne soirée, Colo

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Antoine, je ne suis pas sûre qu'il s'agisse d'espoir ici, plutôt de voir dans le quotidien des "signes" positifs qui aident à vivre.
      Bon week-end !

      Supprimer
  5. En vieillissant je fais bien plus attention à ces petits moment de rien du tout (en apparence) mais qui peuvent transformer une journée. Il y en a ... la balade de Caïn n'est plus disponible du tout. Bonne journée Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah bon, plus disponible du tout? Il se vendait mal sûrement.
      C'est vrai qu'en vieillissant, ou est-ce en vivant plus lentement??, on remarque, prend note des "petits riens", positifs---et négatifs parfois aussi:-))
      À dimanche chez toi Aifelle

      Supprimer
  6. Merci pour cette chronique. Il y a longtemps que je pratique cette récolte des "bonheurs du jour" (comme dirait Marie) tous les soirs, avant de m'endormir. Les noter dans un carnet permettrait d'y revenir, pourquoi pas ? Bonne journée, Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah c'est fort bien ! Je ens ais pas s'il est important de les noter ces minis choses positives, mais en prendre conscience durant la journée est essentiel! Bon week-end.

      Supprimer
  7. Voilà un texte qui me parle. Depuis longtemps j'apprends à fixer mon esprit sur ces petits moments de joie parfois infimes qui parsèment ma journée. C'est en nous que ces graines vont germer ensuite pour transformer notre vie. Quand on est plus jeune, quand on travaille encore, quand on s'occupe de nos enfants, parfois aussi de nos parents, on ne prend pas toujours le temps de le faire et pourtant, cela nous aiderait beaucoup mais à présent nous n'avons plus d'excuses...et c'est le seul moyen de prendre du recul par rapport à tout ce qui va mal autour de nous...Merci pour ce partage très beau que tu as traduit pour nous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Manou, comme tu le dis, nous n'avons plus d'excuse, ayant le temps, comme je l'écrivais plus haut à Tania, il est essentiel pour ne pas sombrer, de remarquer, fixer notre attention sur ces infimes points positifs.
      Bon week-end !

      Supprimer
  8. j'ai lu ce genre de conseil dans les livres de sagesse zen et c'est un conseil plus que pertinent et moi je fais quoi ? tout le contraire en ayant tellement l'impression que parfois tout n'est que noirceur, douleur, solitude etc
    il faut absolument que je me remette à la philosophie Zen

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu crois qu'il suffit de d'essayer de changer le "chip" dans ta tête? Peut-être, oui, et s'efforcer à noter mentalement un rayon de soleil, un geste de la voisine etc...Allez je t'envoie un beso

      Supprimer
  9. Mais quel texte super ! Je ne peux qu'approuver ! Vive le zen !

    RépondreSupprimer
  10. Noter sur un carnet, je le fais mais pas pour les petits bonheurs du jour mais les phrases d'auteurs qui m'inspirent, un petit bonheur tout de même :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bien sûr Zoë, tout ce qui contribue à ne pas sombrer dans la morosité aide!

      Supprimer
  11. Hola Colette, Je crois avoir oublié de vous dire que j'aime beaucoup la nouvelle photo en bandeau de votre blog.

    Pour l'histoire du maître vénérable, c'est un bon thème, cela fonctionne. Préparons nos petits carnets!

    Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh vous êtes le seul à me parler de la nouvelle photo, merci. Elle a été prise un peu au dessus de mon village.
      Carnet ou pas, faire attention aux minis détails agréables aide à vivre...Bonne soirée.

      Supprimer
  12. en bon arrosoir, je note dans mes grimoires les riens de l'espoir !!
    histoire de faire entrer des miettes de lumière en mon manoir comme dans la photo de dame Colo 🤩

    gouttes de sourire à Vous
    (et, trombes d'eau en direct des crues d'ici..)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Solilouve, arroser de gouttes d'espoir, de lumière, de sourires, c'est génial!

      Supprimer
  13. Ce conseil est plus que merveilleux, le positif attire le positif, la joie attire la joie, n'imaginons que ce versant des choses pour qu'un nombre décisif d'esprits fasse basculer les consciences. Je vais chercher ce livre "La balade de Caïn", merci dame Colo, des bises du lundi. brigitte

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh Brigitte, Aifelle a écrit plus haut qu'on le trouve plus ce livre, pas réédité hélas.
      Je t'envoie un rayon de soleil.

      Supprimer
  14. Sans être aussi "organisé" je pense sans trop m'avancer que je pratique couramment de la sorte.
    J'observe beaucoup, en fait, et j'en tire toujours des détails touchants ou cocasses que ce soit les choses ou les personnes !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je te crois sans peine, tes écrits montrent cette fine observation de ceux, de ce qui t'entoure K.

      Supprimer
  15. Très belle chronique que j'ai lu avec plaisir. Je ne note pas dans un petit carnet, mais les bons moments passés dans une journée sont en moi et j'y pense très souvent. Par exemple, hier, en regardant l'arbre de ma voisine, j'ai vu au moins une vingtaine de moineaux dans les branches et je me suis dit... oh, l'arbre à oiseaux. Un beau moment douceur.
    Gros bisous chère Colo :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci chère Denise pour cet arbre à moineaux, il me semble le voir!
      Bonne fin de semaine, j'espère que tu vas bien, un beso

      Supprimer
  16. C'est très beau ! Et peut-être très vrai ? J'avoue que j'ai du mal avec ce qui est zen ! Il faudrait de mettre dans une bulle qui protège du monde extérieur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que l'agréable, le beau, le doux en attirent plus et plus...chanter ou sourire par exemple fait peu à peu s'installer un peu de joie dans le corps, l'âme....

      Supprimer
  17. Oui, une belle philosophie du bonheur au quotidien ! J'essaie d'en prendre de la graine tous les jours ! Il le faut par les temps qui courent !
    Bonne soirée à toi !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Peut-être que les petites choses mènent aux grandes....ne pas arrêter d'espérer!

      Supprimer
  18. Je pratique ce recensement du positif chaque soir mais 3 et sans écrire. Je crois que de l’écrire pose les choses encore plus. Et je fais 3 respirations profondes. Merci Colo !

    RépondreSupprimer