25 sept. 2013

L'imagination d'Emily / La imaginación de Emily


Emily Brontë a surtout écrit des poèmes, nous les connaissons peu. Avant de lire celui-ci, quelques mots.

Après quelques essais infructueux de vie en dehors de la propriété familiale, “Elle restera donc à Haworth, là où, pense-t-elle, est sa vie, là où les gens vivent plus sérieusement, plus eux-mêmes, moins en surface, en changements, en frivolités intérieures.
Et n'en bougera plus.”
(Virginia Woolf visitant Haworth, en 1904, écrira: Haworth exprime les Brontë; les Brontë expriment Haworth; elles y sont comme un escargot dans sa coquille.)”*

* Extrait de 7 Femmes – Lydie Salvayre
 
Haworth


Vivre éloignée de tout et de tous; et pour écrire, faire appel à son imagination. D'où le choix de ce poème.


Emily Brontë escribió una novela pero muchos poemas, poco conocidos.

Después de algunos infructuosos intentos de vivir fuera de la propiedad familiar “Ella decide quedarse en Haworth donde, piensa ella, está su vida, donde la gente vive con más seriedad, más auténticidad, menos en superficie, en cambios, en frivolidades interiores.
Y ya no se moverá de allí.”
(Virginia Woolf, visitando Haworth, en 1904, escribirá: Haworth expresa las Brontë, las Brontë expresan Haworth; ellas están allí como un caracol en su concha.)”

Vivir alejada de todo y todos, y, para escribir, apelar a su imaginación. De allí el poema que elegí.






À l'imagination


Lorsque, lassée du long souci du jour
Et ballottée de peine en peine
Je suis perdue, prête à désespérer,
Ta bonne voix de nouveau me rappelle.
Ô ma fidèle amie, comment serais-je seule
Tant que tu peux parler sur pareil ton ?

Le monde du dehors est si vide d’espoir
Que m’est deux fois précieux le monde du dedans,
Ce tien monde où jamais ne règnent ruse et haine
Non plus que doute et froid soupçon ;
Où toi et moi et la Liberté,
Exerçons souveraineté indiscutée.

Qu’importe que, de toutes parts,
Le Péril, le Péché, la Ténèbre nous pressent
Si nous gardons ancré au fond de notre cœur
Un brillant ciel immaculé,
Chaud des mille rayons mêlés
De soleils qui jamais ne connaissent l’hiver ?

La Raison peut souvent se plaindre en vérité
Du triste train de la Nature,
Et révéler au cœur souffrant combien ses rêves
Sont voués à demeurer vains ;
Et la Réalité peut piétiner, brutale,
Les fleurs de l’Imagination à peine écloses.

Mais tu es toujours là pour ramener
Les visions latentes, pour parer
Le printemps dépouillé de nouvelles splendeurs
Et tirer de la mort une vie plus exquise,
Évoquant d’un souffle divin
De vrais mondes aussi lumineux que le tien.

Je ne crois guère en ta félicité fantôme,
Mais à l’heure apaisée du soir,
C’est toujours, oui, toujours avec reconnaissance
Que je te vois venir, ô bienfaisant pouvoir,
Infaillible consolatrice
Et quand l’espoir se meurt, plus radieux espoir.
Emily Brontë, 3 septembre 1844, traduction Pierre Leyris, éditions Gallimard, 1963






A la imaginación


Cuando, cansada de las preocupaciones del día

 y rebotando de pena en pena
 estoy perdida, dispuesta a la desesperación
De nuevo tu cálida voz me llama
Oh mi fiel amiga, ¿como podría estar sola
si de tal tono hablarme puedes?


Tan falto de esperanza esta el mundo de fuera
que dos veces preciado me parece el de dentro,
Ese mundo tuyo donde nunca reina ni la treta ni el odio
como tampoco la duda y la sospecha
donde tú y yo y la Libertad
Ejercemos una soberanía indiscutida.


¿Qué importa que a la ronda
el Peligro, el Pecado, las Tinieblas nos acechen
Si anclado en el corazón guardamos
Un brillante cielo inmaculado
Caliente de mil rayos enredados
De soles que el invierno desconocen?


De verdad la Razón puede quejarse
Del triste paso de Natura
Y revelar al corazón
sufriente como esos sueños
condenados están a resultar vanos;
Y la Realidad puede atropellar, brutal,
Las flores de la imaginación apenas broten.


Pero siempre estás allí para devolver
las visiones latentes, para adornar
la primavera despojada de nuevos esplendores
y sacar de la muerte una vida más amable,
Evocando con divino soplo
Verdaderos mundos tan luminosos como el tuyo.


Ya no creo en tu felicidad fantasma
Pero en las horas quietas de la noche
Siempre, sí, siempre con agrado
veo tu llegada, oh benéfico poder,
consoladora infalible.
La más brillante esperanza nace
allí donde la esperanza muere.


Traduction réalisée par MAH y Colo à partir du texte français.


Poème en anglais: online literature

25 commentaires:

  1. J'aime bien l'idée de l'écrivain qui se cache et se protège comme l'escargot
    Merci pour ce poème

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    1. Sans doute est-ce la condition indispensable à l'écriture que cet enfermement Dominique.
      Bonne journée!

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  2. Garder un "brillant ciel immaculé au fond de notre coeur" beau programme, qu'il serait bon de méditer tous les jours, pauvres humains que nous sommes, si poussés à nous disperser. Bonne journée Colo.

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    1. Tu as raison Aifelle, et j'aime beaucoup aussi "De vrais mondes aussi lumineux que le tien". Pour elle la réalité tue l'imagination qui est si lumineuse...

      Bonne journée à toi aussi!

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  3. A força da imaginaçao !!!
    une petite chanson chère amie ? : http://www.youtube.com/watch?v=h8MF37rogi0

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    1. Avec grand plaisir, merci!
      Voix, swing, swing sambas...magnifique Dona Yvone Lara!

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  4. Ça pourrait être amusant de comparer une traduction à partir de l'original et ta traduction à partir d'une traduction.

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    1. Tout à fait Cristophe!
      Le traducteur français a pris, à ce que je vois, des libertés, tout à fait licites bien sûr, par rapport à l'original anglais. J'avais trouvé une traduction en espagnol, plus littérale, mais elle ne me semblait pas ...poétique.

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  5. Depuis que la retraite me tient éloigné des univers de ruse et de haine (les mots sont un rien exagérés dans mon cas, mais l'idée y est), je voudrais, si j'en avais le talent, écrire le même poème que celui sur l'imagination d'Émily Brontë.

    "Fluttering from the autumn tree", comme l'anglais est beau dans la concision de l'évocation.

    Je voudrais visiter Haworth, je suis ému lorsque je visite des lieux habités encore par celles et ceux dont j'ai partagé le monde imaginaire. Je trouve que votre billet sent agréablement l'automne, merci.

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    1. En anglais ce même poème est si beau, et, vous avez raison, plus concis. Beauté et difficulté (à la traduction) de cette langue.

      Être poète, on serait comblés, je suis bien d'accord; déjà arriver à bien exprimer ce qu'on ressent serait magnifique. Manque de pratique sûrement, de talent aussi.

      Mais gardons l'imagination, cette "Infaillible consolatrice"
      Bonne journée, merci pour ce beau commentaire.







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  6. Je continue mon apprentissage de l'espagnol!!!!

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    1. ¡Muy bien señora!....je suis sûre que tu progresses rapidement!

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  7. Très intéressant prolongement du thème de la Grande Librairie d'hier qui évoqua à un moment donné les durées et conditions d'écriture des auteurs. Aucun comme les Bronte ne fit référence à l'enfermement nécessaire dans une Tour d'argent ou tout au moins dans un domaine protégé, mais chacun ressent bien la nécessité de s'isoler pour cueillir en lui le meilleur de son écriture.
    Je trouve intéressants ces va-et-vient de traduction et j'apprécie tout particulièrement la traduction en espagnol. voilà, bien posée dans les messages le problème de la traduction avec les choix qui ne tradent pas à s'imposer.
    Une approche d'Emily Brontë très intéressante.
    On ne repart jamais de chez toi sans avoir appris des choses et tes billets donnent toujours à réfléchir.
    Bon we, Colo.

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    1. Les distractions font sûrement mauvais ménage avec l'écriture, l'isolement total et à vie d'Emily est extrême, mais...un choix de vie.
      Merci pour tes gentillesses Maïté, je t'embrasse.

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  8. Ce beau poème, jamais lu, me touche beaucoup. Merci d'avoir cité le commentaire de Virginia Woolf, parfait.

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    1. On se demande pourquoi les éditeurs (et autres) boycottent certains poètes, non?
      je pensais bien que ce poème te toucherait Tania.
      Bon weekend!

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  9. Je n'ai jamais lu un poême d'une des soeurs Brontei qui m'ont toujours fasciné. J'adore celui que tu as choisi pour ces mots ciselés et sa profondeur. Je te fais une biz bien amicale et bon we amie lointaine.

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    1. Bonjour Véb, bien contente que ce soit une découverte pour toi!
      Je t'embrasse aussi, bon weekend...aux fourneaux?

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  10. Je n'avais non plus jamais lu aucun poème d'elle ou de ses soeurs... Mais c'est bien en accord avec le reste. Il y a cet abandon aussi à la nature et ses rythmes lents mais profonds. Une conscience d'en faire partie

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    1. Oui, c'est curieux que ni à l'école ni après nous n'ayons trouvé aucun poèmes d'elle. Celui-ci reflète si bien ce qu'elle est.
      Bon weekend Edmée

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  11. Merci, Colo ! Je découvre aussi de beau poème. Bon dimanche.

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    1. Avec plaisir Danièle, dimanche pluvieux ici, peut-être soleil chez toi alors?
      Bonne journée!

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  12. Merci pour ce beau poème, plein de courage !

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    1. Du courage tout au long de la route...la poésie, l'imagination.
      Bonne journée Annie

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  13. J'ai beaucoup de lecture de billet en retard, je reviendrai aussi pour celui-ci !!!
    Bises à bientôt

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