Roberto Juarroz.
Argentina (1925-1995)
"Una
hoja en el árbol, justifica al árbol. Pero un árbol sin hojas lo
justifica todo."
"Une
feuille dans l'arbre justifie l'arbre. Mais un arbre sans feuilles
justifie tout"
(les poèmes de Juarroz sont sans titre) (los poemas de Juarroz no tienen título)
Le
jour où sans le savoir
Nous faisons une chose pour la dernière fois,
regarder une étoile,
passer une porte,
aimer quelqu’un,
écouter une voix,
si quelque chose nous prévenait
que jamais nous n’allions la refaire,
la vie probablement s’arrêterait
comme une poupée sans enfant ni ressort.
Et pourtant, chaque jour
nous faisons quelque chose pour la dernière fois,
regarder un visage,
nous appeler par notre nom,
achever d’user une chaussure,
éprouver un frisson
comme si la première ou la millième fois
pouvait nous préserver de la dernière.
Il nous faudrait un tableau noir
marquant toutes les entrées et les sorties,
où serait clairement annoncé, jour après jour,
avec des craies de couleur et des voyelles
ce que chacun doit terminer
jusqu’à quand on doit faire chaque chose,
jusqu’à quand on vit
Nous faisons une chose pour la dernière fois,
regarder une étoile,
passer une porte,
aimer quelqu’un,
écouter une voix,
si quelque chose nous prévenait
que jamais nous n’allions la refaire,
la vie probablement s’arrêterait
comme une poupée sans enfant ni ressort.
Et pourtant, chaque jour
nous faisons quelque chose pour la dernière fois,
regarder un visage,
nous appeler par notre nom,
achever d’user une chaussure,
éprouver un frisson
comme si la première ou la millième fois
pouvait nous préserver de la dernière.
Il nous faudrait un tableau noir
marquant toutes les entrées et les sorties,
où serait clairement annoncé, jour après jour,
avec des craies de couleur et des voyelles
ce que chacun doit terminer
jusqu’à quand on doit faire chaque chose,
jusqu’à quand on vit
jusqu’à
quand on meurt.
(Trad: Colo)
Ce poème a été traduit par Jacques Ancet, bien avant moi; vous trouverez sa version ici: http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/juarroz/juarroz.htmlTommy Ingberg http://www.ingberg.com/ |
El
día en que sin saberlo
hacemos
por última vez una cosa
mirar
una estrella,
atravesar
una puerta,
amar
a alguien,
escuchar
cierta voz
si
algo nos advirtiera
que
nunca volveremos a hacer eso,
probablemente
la vida se detendría
como
un muñeco sin niño ni resorte.
.
Sin
embargo, cada día
hacemos
algo por última vez
mirar
un rostro,
llamarse
con su propio nombre,
terminar
de gastar un zapato,
probar
un temblor
como
si la primera vez o la milésima
pudiera
preservarnos de la última.
.
Nos
haría falta un tablero
con
todas las entradas y salidas marcadas,
donde
se anuncie claramente, día por día,
con
tiza de colores y con vocales
qué
le toca terminar a cada uno,
hasta
cuándo se hace cada cosa,
hasta
cuándo se vive
hasta
cuándo se muere.
Roberto Juarroz.
Le
prochain billet sera consacré à ce poète Argentin (1925-1995),
auteur d'une “poésie verticale”; les pieds sur terre, la tête
imprégnée de spiritualité, de philosophie. Une poésie sans
artifices, à la recherche d'une “troisième dimension”, entre la
vie et la mort, le bonheur et la disgrâce...loin du manichéisme
d'une certaine poésie traditionnelle.
La
próxima entrada será dedicada a ese poeta Argentino (1925-1995),
autor de una “Poesía Vertical”; los pies en la tierra, la cabeza
impregnada de espiritualidad, de filosofía. Una poesía sin
artefactos, que busca una “tercera dimensión” entre la vida y la
muerte, la felicidad y la desgracia...lejos del maniqueísmo de
cierta poesía tradicional.
C'est un poème qui me parle énormément parce que c'est une réflexion que je me suis déjà si souvent faite... Un jour, on passe le dernier Noël avec ses grands-parents, mais on ne le sait pas... L'événement aurait-il été plus fort si on l'avait su? J'ose espérer que non.
RépondreSupprimerMerci pour ce texte magnifique et pour ces découvertes d'auteurs du monde hispanique au fil de tes billets!
Parfois on sait, sans le formuler, qu'on ne reverra pas un lieu, une personne. Trop lointains. D'autres fois, oui, on espère qu'il y aura d'autres fois, tu le dis bien.
SupprimerDepuis une semaine je lis et lis des poèmes de lui, des études sur sa poésie...et je me demande bien comment je suis passée à côté de lui sans m'y arrêter pendant toutes ces années! :)
Bonne journée Adrienne, sous la pluie ici.
je fais immédiatement un copié collé de ta traduction pour mon carnet de poésie personnel car ce poème m'émeut vraiment beaucoup je crois que je n'ai pas fini de le lire et relire et si ma mémoire veut bien de me le réciter
RépondreSupprimerCe carnet doit contenir de bien belles choses...
SupprimerLe plus important est de vivre avant de mourir... Heureusement qu'on ne sait pas que ce sera la dernière fois et profitons de l'instant pour le vivre intensément !!
RépondreSupprimerSavoir que l'on va mourir un jour (comme Montaigne nous l'a enseigné, entre autres) et tant que la vie est là, vivons !!!
Merci de nous donné ce très bel exemple !
Bonne soirée Colo !
"Si afirmas que tu vida carece de sentido porque un día deberás morir. ¿Cuál sería su sentido si hoy te dijeran que nunca morirás?... Mira que la cosa no cambia por el solo hecho de durar."
SupprimerBon.. je te traduis ces mots de Juarroz: "Si tu affirmes que la vie manque de sens parce qu'un jour tu devras mourir, quel en serait le sens si on te disait aujourd'hui que tu ne mourras jamais? Vois que la chose ne change pas par le seul fait de durer."
Vivre l'instant, essayons vraiment.
À bientôt Enitram.
J'y pense souvent à la dernière fois. Essayant alors de m'imbiber de ce que mes yeux voient alors. Le dernier bisou de mon namoureux, le dernier regard. Regretter de n'avoir pas dit au revoir aux miens. Mais sans jamais d'angoisse. Sauf la profonde tristesse de ne plus les voir, les miens, les chers de mon coeur, un jour.
RépondreSupprimerSouvenirs touchants de dernières fois....merci Lou.
SupprimerBonne semaine, je t'embrasse.
Connaître à l'avance nos dernières fois, quelles qu'elles soient, quelle horreur, ce serait nous priver de l'illusion que nous sommes maitres de notre destin
RépondreSupprimer..et rendrait presque impossible aller de l'avant.
SupprimerBonne soirée dame Sable.
Heureusement qu'on ne le sait pas et c'est souvent le cas ...
RépondreSupprimerMais parfois on le sait et le temps s'arrête dans l'intensité d'une caresse, d'un regard ...
Tout à fait Marcelle...bonne semaine.
SupprimerAh merci ! un poète que j'aime beaucoup, je me réjouis de ton prochain billet sur lui. Et la photo est assez fabuleuse, je vais suivre ton lien.
RépondreSupprimerTes encouragements me donnent des ailes, merci Aifelle.
SupprimerUn photographe découvert il y a peu, des montages aériens que j'ai trouvés très réussis.
Bonne journée à toi.
Dommage - à mon goût- que cette idée de tableau noir de la fin vienne rompre l'ambiance tissée depuis le début tel un charme qui s'évaporerait.
RépondreSupprimerOui, un envol qui fait demi tour, atterrit dans une salle de classe. C'est un peu frustrant peut-être mais Juarroz est fidèle à sa recherche d'un entre-deux, trop évidente dans ce poème.
SupprimerVoyons les prochains...
Je sens que je vais apprécier ce poète. Je trouve qu'il y a dans l'extrait matière, au-delà des images, à de vastes questions philosophiques.
RépondreSupprimerL'illustration me fait rêver, le magnifique site de Ingberg aussi bien sûr, une voie que j'étais tenté de suivre (sans prétendre au même talent, bien entendu) si les maquettes d'avions n'avaient fini par requérir beaucoup de mes heures de loisir (sans aucun regret).
Froid ici maintenant, dix degrés sous les moyennes. Bonne journée Colette.
Bonjour Christian, ce genre de photos requièrent, j'imagine, un temps plein. Je comprends que vous ayez envie de faire d'autres choses aussi...comme venir ici, si gentiment.
SupprimerLe temps a fort rafraîchi ici aussi, mais le gel est loin!
Excellente journée à vous.
Je me glisse dans le commentaire de Martine quant à ce que j'éprouve en lisant ce poème.
RépondreSupprimerJ'aime quand la poésie rejoint la recherche de sens à laquelle nous sommes tous confrontés un jour ou l'autre. C'est le cas ici.
L'image que tu as choisie est forte elle aussi de ce sens de la fragilité de la vie.
Mais la vie aurait elle encore un prix si elle devait durer toujours ?
Je me réjouis pour ton prochain billet
D'après Juarroz beaucoup de gens n'aiment pas lire sa (la) poésie car elle la met face à eux-mêmes, à ce sens (et non sens) de la vie. C'est pourtant ce t'attire, moi aussi.
SupprimerNous reparlerons de tout ça...
Bonne fin de semaine Fifi.
Bonsoir Colo, il m'arrive d'y penser, parfois mais la plupart du temps, je pense au moment présent. J'ai bien sûr le dernier regard de ma maman et cette belle image me fait penser à elle, qui a rejoint le ciel dans la douceur, il y a quelques années.
RépondreSupprimerBelle soirée chère Colo avec mes bisous, c'est un très beau poème.
Bonjour Denise, les corps de nos parents disparaissent mais ils sont toujours à nos côtés, je le sens souvent. Entre deux.
SupprimerBonne journée à toi aussi.
Très émouvant...
RépondreSupprimerJe te lis en écoutant le Stabat Mater de Pergolesi...parfait.
Ce Stabat de Pergolesi, de loin notre préféré, a marqué tous les dimanches de la vie de ma famille espagnole....superbe.
SupprimerMerci Magali, bon week-end.
Cette histoire de savoir ou de ne pas savoir (ça me fait penser au film "Le tout nouveau testament", excellent pour moi !), est je crois le moteur de nos avancées. La photo choisie est pleine de grâce et d'un soupçon d'insécurité, comme la vie, finalement. A moins que ce ne soir l'inverse ...
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout ce film Lily, mais je vais chercher.
SupprimerMerci et excellent weekend à toi.
Comme il est aussi important de faire quelque chose pour la première fois.
RépondreSupprimerC'est une découverte, un apprentissage.
C'est une prise de risque, un défi.
C'est une aventure, un pas vers l'inconnu.
Tu as raison bien sûr!
SupprimerEt "jamais de la vie, on ne l'oubliera, la première fille qu'on a pris dans ses bras.." (le premier homme non plus!)
Merci à toi.
J'y pense parfois aussi... comme le chantait Lama dans "le dernier baiser". Tant de dernières fois qu'on a vécues sans savoir qu'elles avaient ce titre de dernière... Merci pour ce très beau poème!
RépondreSupprimerJe viens d'écouter cette chanson que je ne connaissais pas. C'est beau: on l'ignore encore mais c'est le dernier..
Supprimer"Le dernier baiser
Il me trouble encore et pourtant c'était le dernier
L'automne est au bord du dernier soleil de l'été
Comme on dit dans les chansons il faut s'y résigner"
Il y en a eu tant comme ça...merci Edmée!
Beaucoup d'émotion à lire ce texte, qui convoque les "jamais plus": une dernière soirée avec ..., une dernière visite à ... A quoi bon compter ? Chaque jour est un commencement, un illusoire recommencement, chaque jour nous métamorphose et chaque jour nous sommes nous.
RépondreSupprimer"Une feuille dans l'arbre justifie l'arbre. Mais un arbre sans feuilles justifie tout" m'a fait lever les yeux vers le ginkgo biloba dont les feuilles d'or pâle commencent à tapisser la terrasse.
Pour poursuivre dans l'esprit de Juarroz, chaque jour est un commencement et une fin, nous naviguons entre deux, il nous faut trouver ce point.
SupprimerIci c'est la vigne vierge dont les belles feuilles rouges commence à coller aux souliers. Après ce sera avec plaisir que nous accueillerons le soleil à l'intérieur de la maison.
Bon week-end Tania, un beso
Un très beau poème, Colo. C'est vrai qu'il faut y penser. Bon weekend à toi !
RépondreSupprimerPour toi aussi Danièle!
SupprimerCe poème est sublime. Je ne sais comment vous remercier de me l'avoir fait connaître.
RépondreSupprimerJe pensais bien que, si vous passiez par ici, ce poème vous toucherait.
SupprimerQuel poème magnifique... Oui roberto Juarroz me parle souvent et murmure les choses justes à mon oreille. La première strophe et d'une troublante actualité pour ce qui me concerne... tes posts précédent (et celui sur le vent chaud) me touchent beaucoup. sinon je vais vite voir les photos de Tommy Ingberg car celle ci est très intrigante... je te souhaite un bon weekend. des bises
RépondreSupprimerTon avis est pour moi important Kwarkito. Beaucoup de ses poèmes sont proches de ce que je ressens moi aussi, et, tu le dis si bien "il nous murmure les justes choses à l'oreille".
SupprimerJe t'embrasse, merci d'être passé.
J'admire la richesse et la qualité très humble de ce blog!
RépondreSupprimer@Alezandro, merci beaucoup, je rougis un peu.
RépondreSupprimerIl y a dans chaque semaine deux jours pour lesquels on ne devrait pas se tracasser, c'est "hier" et "demain". C'est "aujourd'hui" qui est important, vivre un seul jour à la fois, c'est déjà assez comme cela. Très troublant ce poème, et hâte d'en savoir plus à propos de Roberto Juarroz. Gracias hermanita !
RépondreSupprimerBonsoir Olihermano, ah mais si aujourd'hui n'est pas trop bon, naviguer entre un beau passé et un possible joyeux futur est bien tentant....
SupprimerJ'aime beaucoup ta semaine aux deux jours spéciaux.
Dès que je pourrai, tu/vous aurez la suite.
Je t'embrasse
C'est magnifique et proche de l'esprit qui actuellement m'habite... Savoir vivre. Aimer. Apprécier comme si tout cela était ainsi fait pour la dernière fois.
RépondreSupprimerMerci Obni, que cet esprit continue à t’habiter!
SupprimerLa "poésie verticale" , voilà ce que j'aime au quotidien . Entre ciel et terre, entre rires et larmes . Vivre comme si c'était le dernier moment, il y a déjà quelque temps que j'ai appris à le faire pour raison de survie et parce qu'en échange on reçoit tant ! Quel joli poème, quels beaux commentaires . Il fait bon vivre chez vous Colo . Belle soirée...en attendant demain :)
RépondreSupprimerMerci Gérard, grand merci.
SupprimerCe poème, poète ont inspiré, touché.
La suite est en préparation, mais de nouveaux nuages-santé me ralentissent fort dernièrement.
Toujours "entre" et "entre"...
Bonne journée à vous, bien amicalement.
Si on savait qu'on fait une chose pour la dernière fois, on mourrait plus vite, non ? Ou alors on vivrait plus léger.
RépondreSupprimerEt puis toutes ces premières fois qu'on ignore encore.
Que ta journée soit douce Colo.
Oh je crois que l'intensité qu'on essayerait d'y mettre à ces dernières fois conscientes nous "chamboulerait" trop!
SupprimerBonne journée à toi aussi, merci.
voilà, c'est fait, je l'ai traduit en néerlandais, il sera demain sur mon blog.
RépondreSupprimerencore merci, chère Colo, pour toutes ces pépites sud-américaines!
Super, je me réjouis de l'y lire!
SupprimerUn beso,
de sábado, o de domingo!
Très jolie, cette famille poule en promenade d'automne ! Bonne journée, Colo.
RépondreSupprimerUne scène de saison...
SupprimerExcellente journée dame Tania! Un beso
Je lis - religieusement- sans paroles. Face à Juarroz, elles seraient inutiles.
RépondreSupprimerUn choix d'illustration intéressant. On reste suspendu au billet...
Merci Maïté pour cette lecture attentive.
Supprimerbesos!
J'aime venir me plonger dans vos "découvertes", tout ce que vous déterrez avex passion et goût et ce poème ou tout est dis...j'espère que ce n'est pas dernière fois que je m'extasie à la lecture d'un poème, que ce n'est pas la dernière fois que je ressens une émotion. Merci amie lointaine et biz bien amicale.
RépondreSupprimerAh j'espère bien que tu reviendras lire un poème de temps en temps, entre deux magnifiques recettes chère Véb!
SupprimerJe t'embrasse.