10 déc. 2010

Au restaurant / En el restaurante

Jan H. Steen

Souvenez-vous, au mois d’août dernier vous aviez lu ici une « frivolité de fin d’été », des extraits d’un texte d’Elvira Lindo ; on y parlait de tomates, d’odeurs…

Voici aujourd’hui un extrait d’une autre chronique, Cantinier de Cuba

Une scène familiale banale, tristement banale.

L’auteure et son époux, je vous rappelle qu’elle l’appelle « mon saint », sont assis à une terrasse de café et ce dernier se lance dans une sorte de conférence sur Goethe dont on joue à ce moment-là en Allemagne une version intégrale (17h) de Faust. Elle en profite pour dévorer les tapas et pour…


« J’ai profité aussi qu’il était distrait par son discours pour regarder autour de moi et faire de la sociologie. (Tactique pour faciliter la vie de couple : tu laisses l’autre parler avec passion et tu fais semblant d’écouter en pensant à tes trucs). Mes trucs à moi étaient maintenant à la table à côté. Un couple avec deux enfants. Le garçon, comme hébété, jouait à la Game Boy ; le père, comme hébété jouait avec la fille à faire de honteux bruits de bouche, et pendant ce temps la femme souffrait en silence de faire partie de ce lamentable cercle familial. Elle qui, pleine d’illusions, s’était faite toute belle, avait mis des boucles d’oreille voyantes et s’était maquillée, (…). Je me suis souvenue des paroles terribles de Catherine Deneuve : « Avec les années le couple rend l’homme ennuyeux et la femme, une harpie ». Quand je me sens sociologue j’aimerais, vu que j’ai dernièrement des inquiétudes religieuses, être Dieu (croyante de base, ce n’est pas pour moi) pour changer le monde. M’approcher, par exemple, à cette table, saluer poliment, bonsoir, je suis Dieu, et intervenir :

-Excusez-moi, je vais mettre un peu d’ordre dans vos vies : d’abord le garçon, cet enfant absurde, qu’il laisse immédiatement la game-boy de côté, sinon je lui flanque une gifle à lui casser les dents ; deuxièmement c’est honteux (ça au père) de vous voir faire ces bruits de bouche avec la petite fille ; la fille s’assied, mange son souper et arrête de suçoter la figure de son père, pour l’amour de Dieu, nous sommes dans un restaurant ; troisièmement, faites attention à votre femme, vous la considérez comme un pot de fleurs toute la soirée, maintenez avec elle une conversation d’adultes, et vous (je lui dirais à elle) ne riez pas, personne n’y échappe ici, agissez avec dignité, si cette famille vous fait tant souffrir, levez-vous et tant pis pour eux.

Moi je pensais à ces choses quand la voix de « mon saint », qui avait décidé d’épuiser le thème de Faust, changea de ton.

-Mais, ma chérie, tu as mangé toutes les gambas. » (…) (trad. Colo)

Extrait de TINTO DE VERANO d’Elvira Lindo édition 2001


NB: Les “tapas » sont des zakouskis délicieux. Quant aux « gambas », ce sont, vous le savez bien, les scampi espagnols. Pas besoin de vous expliquer ce qu’est une game -boy, si ?


A finales de agosto os propuse una « frivolidad de fin de verano », unos extractos de un texto de Elvira Lindo; hablaba de tomates, olores… ¿Os acordáis?

Hoy os propongo un extracto de otra crónica llamada: Cantinero de Cuba. Una escena familiar banal, tristemente banal.

La autora y su esposo, al que llama mi santo, están sentados en la terraza de un bar. Él se lanza en un especie de conferencia sobre Goethe ya que en Alemania se representaba en aquél momento una versión completa (17h) de Fausto. Ella aprovecha para devorar las tapas y…

“Aproveché también que estaba entretenido en su discurso para mirar a mi alrededor y hacer sociología. (Táctica de convivencia para que el matrimonio funcione: días al otro hablando apasionadamente y tú haces como que escuchas, y a lo tuyo). Lo mío estaba ahora en la mesa de al lado. Un matrimonio con dos niños. El niño, como embobado jugando con la game-boy; el padre, como embobado jugando con la niña a unos juegos de pedorretas que daban vergüenza, y mientras, la mujer sufría en silencio por formar parte de ese lamentable núcleo familiar. Ella, que se había arreglado con toda su ilusión, que se había puesto unos pendientes vistosos y se había pintado, (…).Me acordé de las terribles palabras de Catherine Deneuve:”Con los años el matrimonio vuelve aburrido al hombre y a la mujer, una arpía”. Cuando me siento socióloga me gustaría, ya que últimamente tengo inquietudes religiosas, ser Dios (creyente de base no es lo mío) para cambiar el mundo. Acercarme, por ejemplo, a dicha mesa, saludar educadamente, buenas noches, soy Dios, e intervenir:

-Disculpen, voy a poner en sus vidas un poco de orden: primero, el niño este absurdo, que deje ya la game-boy o le suelto una galla que le saco los dientes; segundo, es bochornoso (esto al padre) verle hacer estas pedorretas con la niña; la niña se sienta, se come su cena y deja de chupetearle la cara al padre, por Dios, que estamos en un restaurante; tercero, haga caso a su señora, que la tiene usted en vela todo la noche, mantenga conversación adulta con ella, y usted (le diría a ella) no se ría, aquí nadie se libra, actúe con dignidad, si tanto le hace sufrir esta familia, levántese y que les den por el saco.

Estas cosas pensaba yo, cuando la voz de mi santo, que había decidido exprimir le tema de Fausto, cambió de tono:

-Hija mía, te has comido todas las gambas. (…)”

Extracto de TINTO DE VERANO de Elvira Lindo, edición 2001

24 commentaires:

  1. Bonjour Colo,

    Je frissonne à l'idée d'être à ce restaurant. De ce que j'ai vu dans ma vie, il n'y a pas de Dieu assez terrifiant de changer la nature des gens qui ne se comprennent pas, qui s'obstinent à jouer aux game-boys, à manger la bouche tout ouverte, à mastiquer leurs bouchées de nourriture trop voyants et à émettre des sons dégoûtants. Un cauchemar !!! Il n'y a pas de sociologie réconfortante qui peut nous aider. Il n'y a que nous, et peut-être il y a des mots, comme « NON ! » et « ARRÊTE ! » On peut essayer une phrase très compliquée, mais souvent c'est absolument trop osé « Fais un effort de sortir de ta bulle !!! » parce que d'habitude ils vont te demander, « Qu'est-ce que c'est une bulle ? »

    Plus sérieusement, quelquefois au lieu d'être un Dieu incarné et tout puissant, il faut montrer discrètement, sincèrement, très, très, très légèrement le côté humain--les blessures, les frustrations, le malheur. Peut-être s'ils sont encore humains, leur bonté renaîtra, la stupidité mourra, et les bonnes relations continueront.

    Amitiés,
    Go

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  2. Dieu ne devrait pas "mettre des gifles à casser les dents" et pourrait être employé à bon escient et ailleurs pour updater ou refaire ce monde imparfait bâclé en six jours se satisfaisant du septième comme jour de repos et d'autosatisfaction.
    Revenons sur terre entre nous et dans ce restaurant un des lieux parmi d'autres du constat de l'incompréhension des êtres qui se plurent "un jour d'orange"* et passent le reste de leur vie sans bouger pour ne pas briser ce souvenir lointain et fragile.
    Pourtant, qui à part les femmes, ces êtres de sentiments sans ressentiment, et leur conscience ont seules la lucidité du constat, le "aware" de "l'état des lieux" et la volonté de devenir. Le film "Potiches" d'Ozon (osons! ça ne s'invente pas.)avec Deneuve, justement, est un exemple plaisant de ces "femmes potiches"qui lorsqu'elles le décident sont capable de changer la vie sans changer de vie.
    Merci Madame C. pour cette traduc.
    *(comme dit Aragon dans la bouche de Ferrat, rien à voir avec le sujet mais j'aime bien citer Aragon de temps en temps pour ne pas oublier)

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  3. Oh comme j'aimerais être amie avec Elvira Lindo, je passerais de terribles et réjouissants moments !
    En lisant l'autobiographie de Sofia Tolstoi on se dit que oui on peut devenir harpie mais on y est aidé par "l'autre' "mon saint' pour le dire comme Mme Lindo :-)

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  4. j'adore ce texte ! n'est-ce pas encore une fois l'histoire de la paille et de la poutre ?
    en même temps qu'une parfaite illustration du "Deus ex machina" de la dramaturgie classique !

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  5. -Go, peut-être, oui... Retrouver des moments de communication(quand et où se sont-ils perdus?), de complicités et de secrets en famille. Peut-être pourrait-on commencer par quelques règles élémentaires de politesse? (ça fait peut-être "vieux jeu" mais tant pis!)
    Bien amicalement et merci.

    - Señor Alex, ah oui, mais les colères de Dieu sont bien connues!
    La lucidité sur l'état des lieux est-elle exclusivement féminine? J'espère bien que non...et tu en es la preuve. Mais il est urgent de changer les choses; osons, osons inventer, recréer...avec nos saints... ou contre eux si nécessaire! Un besito amigo.

    -Dominique, oh oui, moi aussi. Elle écrit une chronique dominicale, souvent très inspirée et au ton juste, dans El País. Ce n'est pas la dernière fois que tu la liras ici.
    Dans "la folle du logis" de Rosa Montero il y a tout un chapitre sur les femmes d'écrivains, et, tu as raison, elles ne sont pas devenues harpies sans motifs! Bon weekend lumineux.

    -K, oui, oui, il y a de la paille et poutre aussi bien sûr!
    L'envie de remettre les choses à l'endroit démange souvent mais Go et Alex ont raison, mieux vaut éviter de filer des beignes et se montrer plus subtiles! Je suis bien contente que savoir que toi aussi tu aimes ce texte. A bientôt.

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  6. J'aurais dû dire que j'aimais bien le texte aussi. En revanche, c'est trop vrai... trop, trop vrai pour moi. Il a fait surgir des souvenirs.

    J'essayerai d'être plus constructif. Les règles de politesse ? C'est une signe que tout est déjà perdu avec les moments de communication. Je pense que le texte est important pour ce qu'il n'y a pas. L'autorité et le respect pour autrui, la présence, la participation, la JOUISSANCE. On fait semblant de vivre au lieu de vivre. C'est une insulte à la vie de vivre comme ça. Et la gifle est un acte désespéré de ressusciter les âmes MORTES.

    Je voulais rejeter la désespérance dans mon premier commentaire. Une gifle ? si le gamin le comprend, oui. Sinon pourquoi pas lui arracher le game-boy et le jeter aux toilettes ?

    Je ne pense pas que ce soit une histoire de la paille et de la poutre. On ne dit pas que ces personnes ont de graves fautes. L'auteur dit que nous vivons l'anomie. On a besoin de réanimation, de réanimation en forme d'une gifle. Pourquoi pas.

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  7. Ay colo! como me encanto la ultima frase! Dieu qui fait fi de son interlocuteur et mange toutes les gambas en refaisant le monde, j'adore, c'est tellement ... humain! bisous et merci pour ce bon moment.

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  8. -Go, je parlais de la politesse comme une prémisse, comme une condition sine qua non pour que le plaisir d'être ensemble, la jouissance surgissent. Dans notre cas il n'y aurait donc pas de game boy à table, la petite fille mangerait son plat, pas de "bruits dégoûtants"... il y aurait une écoute et des conversations, peut-être même des rires et des compliments. Tu me comprends mieux?
    Quant à la paille dont parlais K, c'est à cause de notre auteure-Dieu qui n'écoute pas ce que dit son saint et dévore les tapas seule... je crois! Bonne soirée à toi.

    -Delphine, divines gambas!:)) Je t'embrasse.

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  9. je pense avoir raté d'entendre l'ironie à la fin de l'article... c'est Delphine qui a mangé toutes les gambas et moi qui étais comme les autres (j'ajoutais la version de ma famille à l'histoire) Oups !

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  10. J'adore cette histoire, j'aime les gambas, j'ai dû lutter pour empêcher ma progéniture de jouer au game-boy à tout bout de champ. Et je ne savais pas que Dieu aimait les gambas...Quel goinfre!

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  11. -Go, tant de lectures sont possibles, toutes sont bienvenues!

    -Damien, tragi-comique, mélange de Dieu et de Père(mère)fouettard, rire et larmes dans ce texte oui oui! ¿A la plancha o al ajillo para ti las gambas?

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  12. Moi aussi j'aimerais être amie avec cette auteure, je parie que nous imaginerions un tas de choses pour remettre le monde en ordre! Je suis prête, oui, à casser quelques dents, pourquoi pas?

    Manger les tapas aussi!

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  13. si j'étais Dieu (tiens, faudra que j'essaie un jour)je me méfierais de la femme pot de fleurs...Et puis il n'a rien d'autre de plus utile à faire...repartir avec la game boy par exemple!

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  14. "Dans le tableau" de Jan Steen, ils ont l'air de nettement mieux s'amuser que "dans le texte" et pas de Dieu, de potiche ou de game-boy. Quelle convivialité ! Question d'époque ?

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  15. -Edmée, gare aux casseurs de pieds et d'oreilles donc!

    -Sable, oh, oui, essaye! Tu nous raconteras...

    -MH, et s'il suffisait de partager un air de pipo, de cithare? J'aime beaucoup ce tableau-ambiance.

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  16. Promis!...en attendant ce jour mémorable, j'ai trouvé un restaurant espagnol dans lequel, j'aimerais bien déjeuner. L'histoire ne dit pas si Dieu était invité (game-boy ou pas).
    http://www.youtube.com/watch_popup?v=NLjuGPBusxs&vq=medium

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  17. -Merci sable, un superbe vieux café! Une amie m'avait envoyé cette vidéo il y a quelques jours et une grande émotion m'avait envahie, je l'ai revue avec plaisir, j'adore l'opéra et ce spectacle-concert est prenant.
    Opéra aussi dans le marché de Valence que je connais bien:
    http://www.wikio.es/video/opera-mercado-2057900

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  18. Le tableau de Steen ne représente t'il pas la fête des Rois ? Je ne suis plus très sûre...En tout cas, quel texte ! Ma phrase préférée est "Quand je me sens sociologue j’aimerais, vu que j’ai dernièrement des inquiétudes religieuses, être Dieu (croyante de base, ce n’est pas pour moi) (...)". Elle est vraiment amusante.
    Et encore une traduction qui n'a pas dû être des plus faciles !

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  19. -Euterpe, le tableau s'appelle "La Joyeuse famille". L'humour existant dans beaucoup de tableaux de J.Steen relie un peu le tableau au texte, enfin, c'était une des idées. Bonne semaine.

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  20. Comme c'est vrai, comme c'est drôle... à la lecture ! Dieu nous donne l'humour d'Elvira Lindo pour échapper aux moments fâcheux ! Merci Colo.

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  21. Génial, j'ai bien fait de passer cet aprèm: j'étais fin Juin dans ce restaurant. Merci Sable du.... et Colo

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  22. -Tania, cet "humour divin" fait un bien fou!

    -Alex, cachottier, hihi...c'était aussi super que dans la vidéo?

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  23. Très amusante cette soirée au resto... euh vous donnerez l'adresse ?

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  24. -Bonjour Lautreje, euh...vous voulez rencontrer qui exactement???

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