Brumes matinales sur la route qui mène chez moi; Platero s'y plairait bien, non?
Car c'est de lui, enfin plutôt des cruelles facéties et désirs de notoriété de Dalí et Buñuel que nous allons parler aujourd'hui. Je vous l'avais annoncé.
"L'affaire Platero" / "El asunto" Platero
« Platero y yo » de Juan Ramón Jiménez. Une première édition partielle, comprenant 63 chapitres, est publiée à Madrid en 1914, dans une édition pour la jeunesse. L’édition intégrale sortit en 1917, connut un immense succès et devint livre de lectures scolaires dès 1920.
« Platero y yo » de Juan Ramón Jiménez: una primera edición parcial, conteniendo 63 capítulos, se publicó en Madrid en 1914, en una edición juvenil. La edición integral salió en 1917, tuvo un inmenso éxito y fue una lectura escolar desde 1020.
« L’affaire » se passe en 1928. Juan Ramón Jiménez est déjà un auteur et poète reconnu.
« El asunto » tuvo lugar en 1928. J.R.Jiménez ya es un autor y poeta reconocido.
Dalí et Buñuel, âgés de 24 et 28 ans se connaissent depuis longtemps ; ils ont pour objectif, entre autres, de moderniser la poésie et avaient, c’est bien curieux, développé depuis l’enfance une obsession pour les ânes pourris, (sujet que l’on retrouve sous la forme de têtes d’ânes morts sur un piano dans le grand classique du cinéma surréaliste « Un chien andalou »).
Dalí y Buñuel de 24 y 28 años se conocen desde hace tiempo; tienen por objetivo, entre otros, modernizar la poesía y ambos tenían, hecho curioso, una obsesión por los burros podridos (tema que de encuentra bajo la forma de cabezas de burros muertos en un piano en el gran clásico del cine surrealista “Un perro andaluz”).
Un jour, Mr Jiménez reçoit la terrible lettre suivante :
Un día, el Señor Jiménez recibe la terrible carta siguiente:
Lettre de Luis Buñuel y Salvador Dalí à Juan Ramón Jiménez (1928)
Mr Juan Ramón Jiménez
Madrid
Notre cher ami. Nous pensons qu’il est de notre devoir de vous dire –oui, de façon désintéressée- que votre œuvre nous répugne profondément car immorale, car hystérique, car cadavérique, car arbitraire.
Spécialement :
MERDE !!
pour votre Platero et moi, pour votre facile et malintentionné Platero et moi, l’âne le moins âne, l’âne le plus odieux que nous ayons rencontré.
Et pour vous, pour votre funeste agissement, aussi :
MERDE !!!
Sincèrement.
LUIS BUÑUEL SALVADOR DALÍ
Carta de Luis Buñuel y Salvador Dalí a Juan Ramón Jiménez (1928)
Sr. Dn. Juan Ramón Jiménez
Madrid
Nuestro distinguido amigo: Nos creemos en el deber de decirle -sí, desinteresadamente- que su obra nos repugna profundamente por inmoral, por histérica, por cadavérica, por arbitraria.
Especialmente:
¡¡MERDE!!
para su Platero y yo, para su fácil y malintencionado Platero y yo, el burro menos burro, el burro más odioso con que nos hemos tropezado.
Y para Vd., para su funesta actuación, también:
¡¡¡¡MIERDA!!!!
Sinceramente
LUIS BUÑUEL SALVADOR DALÍ
[Agustín Sánchez Vidal, Buñuel, Lorca, Dalí: el enigma sin fin, Barcelona: Planeta, 1988, p. 189.]
Vous imaginez l’étonnement, la peine aussi de cet homme si sensible.
Dalí nous donne, dans son style caractéristique, une explication de la lettre, la voici.
Os podéis imaginar la sorpresa, la pena también de ese hombre tan sensible.
Dalí nos da una explicación de la carta, aquí está:
"A ce moment nous voulions envoyer, pour créer une sorte de subversion morale, une lettre à la personne la plus prestigieuse d’Espagne, uniquement pour provoquer une réaction et que les gens disent : « Pourquoi l’ont-ils fait ? » et tout ça. Nous en avions alors choisi deux ou trois, nous avions pensé à Falla * qui jouissait déjà d’un grand prestige, pour lui dire qu’il était un fils de pute, etc…le pire qu’on puisse dire ; nous les avons mis dans un chapeau (les noms) , et Juan Ramón Jiménez est sorti.
Nous venions justement de rendre visite la veille à J.R. Jiménez qui nous avait reçus sentimentalement : « Voyons cette merveilleuse jeunesse… », et il dit avoir rencontré des jeunes gens magnifiques dans notre groupe.
Alors, il sort du chapeau et nous écrivons la lettre, qui était une lettre terrible contre Platero, que l’âne de Platero était un âne pourri, que cette histoire d’étoiles était du sentimentalisme… ; en plus, c’est vrai, je n’ai jamais aimé Juan Ramón Jiménez, je trouve que c’est un très mauvais poète. Au moment de poster la lettre, Buñuel a eu un doute, mais il l'a postée, nous l'avons postée, et le jour suivant Juan Ramón a été malade, il disait : » Je ne comprends pas, la veille je reçois ces jeunes gens ; ils me semblent…et le jour d’après ils m’insultent de la façon la plus grossière… » Et il n’a jamais compris. C’était une chose incompréhensible."
(Traductions Colo)
"En aquel momento queríamos mandar, para crear una especie de subversión moral, una carta a la persona más prestigiosa de España, únicamente para provocar una reacción y que la gente dijera: "¿Por qué lo han hecho?", y tal y cual. Entonces habíamos escogido dos o tres, y habíamos pensado en Falla, que tenía un gran prestigio, para decirle que era un hijo de puta, etc.: lo más que se puede decir; los pusimos en un sombrero (los nombres), y salió Juan Ramón Jiménez.
Justamente acabábamos de visitar a Juan Ramón el día anterior, que nos había recibido sentimentalmente: "A ver, esa juventud maravillosa...", y dijo haber encontrado unos chicos magníficos en nuestro grupo.
Entonces, sale en el sombrero y escribimos la carta, que era una carta terrible contra Platero, que el asno de Platero era un asno podrido, aquello de las estrellas era un sentimentalismo...; además, es verdad, a mí nunca me ha gustado Juan Ramón Jiménez, encuentro que es un poeta pésimo. En el momento de echar la carta, Buñuel tuvo una duda, pero la echó, la echamos, y al día siguiente Juan Ramón estuvo enfermo, diciendo: "No comprendo, un día antes recibo a estos chicos; me parecen... Y al día siguiente me insultan de la manera más grosera..." Y no lo comprendió nunca. Fue una cosa incomprensible."
[Agustín Sánchez Vidal, Buñuel, Lorca, Dalí: el enigma sin fin, Barcelona: Planeta, 1988, pp. 191-192.]
*Falla : il fait référence à Manuel de Falla : http://fr.wikipedia.org/wiki/Manuel_de_Falla
Source / Fuente : http://www.udc.es/tempo/cuestions20/docs_surr08.html#jrj
La brume est comme une prune. La peau résiste. Si elle se fissure, le paysage s'éparpille en goutelettes...
RépondreSupprimer**JEA, la brume étant le sujet de mon prochain billet je mettrai, avec votre permission, cette superbe métaphore. Bonne soirée.
RépondreSupprimerJe penche évidemment du côté de l'auteur,non mais tous ces affreux devraient être mis en rang d'oignons les fesses pointant et demander à Platero de leur réserver un coup de pied ....bien senti
RépondreSupprimerdu même genre que celui que la Mule du Pape avait réservé à Tristet Védène le méchant moutardier
vive les ânes !
@ Colo
RépondreSupprimerMerci encore à vous mais des "gouttelettes" ne seraient pas superflues...
é bé! ça décoiffe!
RépondreSupprimerMais à vrai dire, Dali, je crois bien que je lui enverrai une lettre comme ça aujourd'hui...
ben je n'ai jamais très bien compris d'où venait la méchanceté prétendument artistique et révolutionnaire de beaucoup de ces jeunes auteurs du début du 20ème siècle.
RépondreSupprimercertes Dali reste un extraordinaire peintre, fascinant par sa façon de tordre la réalité.
Il y a tout un mouvement dans ces années qui prétend s'affranchir des règles conformistes de son monde d'origine. certes y avait-il beaucoup de choses à transformer dans le monde et c'est toujours le cas à notre époque.
mais pas au prix de se moquer de l'affection, de la tendresse, de la bonté simple, comme ils l'ont fait sur de nombreux sujets.
leur vanité m'est apparue très tôt choquante alors que je ne suis pas de leur époque, même dans mon enfance.
mais celle de mes aînées, adultes des années soixante, me semblait déjà terrible tant tous ces prétendus révolutionnaires ne savaient pas autrement m'imposer leurs trucs qu'en me faisant des discours méprisants et en me donnant des baffes quand je résistais.
donc voilà hein, moi ces gens là, je ne les aime pas plus que les conservateurs de tous les siècles. encore que, avec les conservateurs, j'ai toujours réussi à négocier une place quelque part.
**Dominique, cet épisode peu reluisant fait partie de l'histoire culturelle; c'est en lisant une biographie détaillée de J.R. Jiménez que je l'ai tristement découverte...mais vive les ânes!
RépondreSupprimer**Terre indienne. Oui ça décoiffe, on est étonnés de découvrir des lettres comme ça! Bon weekend dans la brume.
**Paul, comme le reconnaît Dalí, c'était incompréhensible...Simple provocation? La méchanceté gratuite n'a aucune justification, vous avez raison, bien sûr!
Quels provocateurs, ces messieurs à l'ego surdimensionné - et quelle indélicatesse, le lendemain d'une visite chez l'écrivain !
RépondreSupprimerLes brumes matinales que ton objectif a si bien capturées annoncent les belles lumières d'octobre, un mois où j'aime particulièrement regarder le ciel, ses couleurs, ses métamorphoses...
Bonne soirée, bruja.
Tania
Je trouve cette histoire atroce... (mais intéressante!). Je ne comprends pas non plus ce moyen lâche et vulgaire de chercher la notoriété aux dépends de quelqu'un, que l'on l'aime ou pas... Il faut dire que si j'aime le talent de Dali, j'ai toujours détesté le personnage.
RépondreSupprimerBon dimanche!!!
Je me suis souvent demandé si Dali était vraiment ce personnage qu'il voulait qu'on croit qu'il était ou alors s'il n'était qu'un simple provocateur. Amanda Lear ne pourrait venir nous élucider?...
RépondreSupprimerSuper comme toujours.
Beijinhos
Bon dimanche.
**Tania, pour toi ce dicton:
RépondreSupprimerBrumes d'octobre et pluvieux novembre
Font ensemble un bon décembre.
Ça te va?
Bon dimanche, un beso.
**Edmée, il est souvent préférable de dissocier artistes et œuvres, oui.
Bonne fin de journée, à bientôt.
**Armando, provocateur, il l'était à souhait mais dans le privé...? Amanda, hum, je n'ai pas lu son livre, toi oui?
Merci Armando, bonne semaine, un besito.
Extrait d'un article de Philippe Lançon, dans le Libération du 4 août dernier :
RépondreSupprimer- "Quand Lorca publie ses Chansons, en 1927, Dalí est devenu surréaliste. Il admire l’œuvre de son ami, mais la trouve archaïque : «Je crois qu’aucune époque n’a connu de perfection semblable à la nôtre ; jusqu’à l’invention des Machines, il n’y avait jamais eu aucune chose parfaite. […] Tu chantes une Grenade qui n’a encore connu ni tramways ni avions, une Grenade ancienne, dont tous les éléments sont naturels, loin de notre présent…» Il lui écrit de merveilleuses lettres un an plus tard, quand sort le Romancero Gitan, mais on y sent une condescendance pour l’amour, pourtant si moderne et renouvelé, de Lorca envers le passé. Dalí n’est pas encore le réactionnaire qu’il se flattera bientôt d’être. Lorca est à New York quand sort à Paris Un chien andalou. Les surréalistes lui font un triomphe. Le poète entend parler de cette «petite merde» et se sent visé : «Le chien, c’est moi.» Il n’a pas tort. En prenant leur autonomie, les trois hommes s’éloignent, se brouillent. Ce qui les rapprochait a germé. Ce qui les différencie donne des fruits. Ils sont parfois amers.
Dans les années 30, quand Buñuel entre au Parti communiste, Dalí lui écrit : «Le manque complet de la plus légère conscience de votre responsabilité historique est ahurissant. On peut le pardonner à des millions de révolutionnaires qui ignorent tout de ce que signifie le surréalisme, mais vous qui savez ce qu’il représente, l’unique possibilité de devenir dans ce monde de l’esprit subversif, et cela au moment de l’abrutissement moral de la Russie, vous êtes impardonnable. Après ta nouvelle position communiste, je te vois aussi loin du surréalisme que Frederiquito avec son Romancero Gitan, je te vois comme l’un de ceux qui cèdent aux nouveaux conformismes.Je défendrai toujours la subversion totale de l’esprit. Vive le surréalisme !»
La guerre civile éclate. Buñuel s’engage dans le camp républicain, puis s’exile, après la victoire franquiste, aux Etats-Unis. Il n’a plus un sou et écrit à Dalí pour qu’il l’aide (lui-même avait refusé d’aider l’autre, alors fauché, dix ans plus tôt). Le peintre, soutenu par Gala, commence à faire fortune. A son vieil ami, il répond : «Je ne peux absolument rien t’envoyer […] Compte tenu de mes sentiments casi (sic) inhumains d’égoïsme FRENETIQUE, c’est-à-dire de vouloir dominer, pendant que je vis, absolument toutes les situations (principe de plaisir selon Froid).» Froid, c’est Freud. Buñuel ne pardonne pas à Dalí et refusera, jusqu’à sa mort, tout projet avec lui.
Lorca, lui, meurt assassiné en 1936 par les franquistes à Grenade. Dalí en fait un mort apolitique, tué parce qu’il était pédé. Des Etats-Unis, il part en voyage dans l’Italie de Mussolini. Il rejoint l’Espagne franquiste en 1949. Le fantôme de Lorca jouant au mort à Cadaqués ne cessera de le suivre. Dans ses mémoires, Buñuel écrit : «De tous les êtres vivants que j’ai rencontrés, Federico est le premier. Je ne parle ni de son théâtre, ni de sa poésie. Le chef-d’œuvre, c’était lui […] Federico avait une grande peur de la souffrance et de la mort. Je peux imaginer ce qu’il a senti, en pleine nuit, dans le camion qui l’amenait vers l’oliveraie où ils allaient l’abattre.» L’éternelle jeunesse est un plat qui se mange froid."
**Qu'ajouter? Grand merci JEA.
RépondreSupprimerCa me va, claro ! Et, bonne nouvelle, suivant les conseils de mon informaticien, les commentaires passent parfaitement via Google Chrome (pour info).
RépondreSupprimer@ JEA : Merci de nous raconter tout cela, que les historiens de l'art laissent trop souvent à l'écart.
RépondreSupprimerA Colo : dire qu'à 19 ans j'ai lu "Comment devenir Dalí ! Heureusement que je ne suis pas devenue Dalí, finalement, quand je lis ce que raconte JEA !:)
RépondreSupprimerIl ressembe donc à beaucoup d'artiste qui n'aiment que leur art et la notoriété et dont l'égoïsme confine à la haine du genre humain.
Dans un autre genre, Leni Riefenstahl est aussi une artiste fascinante mais glaçante.
**Euterpe, je t'imagine mal en Dalieta tu sais!
RépondreSupprimerLeni R., oui, bien sûr, mais tu vois Lorca et Buñuel et tant et tant d'autres sont loin d'être faits du même bois...glaçant.
Je déteste la méchanceté gratuite et je ne connaissais pas cette lettre, c'est choquant!
RépondreSupprimerJ'ai lu avec intérêt la note de JEA, c'est un sujet passionnant.
Amicalement
**Marcelle, tout à fait d'accord avec toi bien sûr. Merci d'être passée, bonne semaine.
RépondreSupprimerBonsoir amielointaine,
RépondreSupprimerJ'aime venir chez toi m'imprégner d'anecdotes, poésies, citations, histoire, bref m'enrichir le coeur et l'âme. Je ne suis jamais déçue et à chaque fois tu me fais pénétrer dans ton monde fait de poésie ce qui me ravit.
J'espère que tu vas bien, le rythme rentrée a repris son cours, et je passe mon temps à courir, et je suis heureuse quand de temps à autre j'arrête un peu le temps histoire de profiter entre autre de tes lectures.
Biz bien cordiale
**Veb, merci pour tout, la vie normale a repris, les cours mais pas trop, tout va bien pour le moment. Je suis contente que mon blog te plaise encore!
RépondreSupprimerBesos.