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30 sept. 2021

Garder ou jeter les lettres d'amour / Guardar o tirar las cartas de amor

 

Voilà, comme annoncé, le second poème sur les lettres de Joan Margarit. Malgré qu’il soit bien plus connu et apprécié que le premier, je préfère ce dernier, plus sensuel et moins sombre.

Mais ce n’est peut-être pas votre avis...

                                 

                          La lettre (ou les jeunes) Goya 1812-1819, détail


Ne jette pas les lettres d’amour

Joan Margarit

 

Ne jette pas les lettres d’amour

Elles ne t’abandonneront pas.

Le temps passera, s’effacera le désir

- cette flèche d’ombre -

et les visages, sensuels, beaux et intelligents,

se nicheront en toi, au fond d’un miroir.

Couleront les ans. Les livres te fatigueront.

Tu descendras encore plus

et tu perdras même la poésie.

Le bruit de la ville aux fenêtres

finira par être ta seule musique,

et les lettres d’amour que tu avais gardées

seront ta dernière littérature.

Trad: Colo

 

                                        
                                             The Notebook (2004) - Nick Cassavetes

 

"No tires las cartas de amor"

No tires las cartas de amor
Ellas no te abandonarán.
El tiempo pasará, se borrará el deseo
-esta flecha de sombra-
y los sensuales rostros, bellos e inteligentes,
se ocultarán en ti, al fondo de un espejo.
Caerán los años. Te cansarán los libros.
Descenderás aún más
e, incluso, perderás la poesía.
El ruido de ciudad en los cristales
acabará por ser tu única música,
y las cartas de amor que habrás guardados
serán tu última literatura.


24 sept. 2021

Seul un papier fin nous unit encore / Solo un papel fino aún nos une

 

JoanMargarit, grand poète catalan né en 1938 à Lerida, écrivit en espagnol du temps de Franco puis peu à peu en catalan et il traduisit lui-même ses poèmes dans cette langue.

Pas grand chose de traduit en français si ce n’est, publié en 2016 ,“Leçons de vertige”, un bel article à lire ici.

Cette semaine et la suivante, deux poèmes traitant du même sujet: les lettres d’amour…ces lettres qu’on relit cent fois, qu’on garde parfois toute la vie. Pas vous ?

Voilà le premier.

 

La lettre



Tu regardais toujours vers l’avant

comme si la mer s’y trouvait. Tu créais

ainsi un mouvement de vagues

étrange et mythique sur une plage. 

 

Nous unissait la force dangereuse

qui donne à l’amour la solitude.

Tremble encore entre mes doigts,

de façon imperceptible, ce papier. 

 

Chemin abandonné entre toi et moi,

couvert de lettres, feuilles mortes.

Mais je sais que le chemin perdure.

Si j’abandonne la main sur le petit tas,

je la sens reposer sur ton dos. 

 

Tu regardais souvent vers l’avant

comme si la mer y était, déjà transformée

en une voix fatiguée, rauque et chaude.

Peu nous unit encore: seul le tremblement

de ce papier si fin entre les doigts.

(Trad: Colo)

 

La carta de Joan Margarit

Mirabas siempre hacia adelante
como si allí estuviese el mar. Creabas
de esta manera un movimiento de olas
ajeno y mítico en alguna playa.
Nos unía la fuerza peligrosa
que da al amor la soledad.
Aún hace temblar entre mis dedos,
de forma imperceptible este papel.
Camino abandonado entre tú y yo,
cubierto por las cartas, hojas muertas.
Pero sé que el camino persiste.
Si abandono la mano sobre el pequeño fajo,
la siento descansar sobre tu espalda.
Solías escuchar hacia adelante
como si allí estuviese el mar, ya transformado
en una voz cansada, ronca y cálida.
Poco nos une aún: sólo el temblor
de este papel tan fino entre los dedos.





18 sept. 2021

J'ai connu la vie en chemin / He conocido la vida en el camino

Il y a longtemps que je voulais publier un poème ou deux de cette jeune et déjà très connue poétesse espagnole, Elvira Sastre.

Traductrice aussi, et romancière, cette jeune femme de 29 ans née à Segovia emploie beaucoup le Je, mais ce Je nous représente tous ou presque, c’est du moins ce que j’ai ressenti.


Dans le poème d’aujourd’hui la recherche de soi à travers les expériences de la vie.







Ma vie sent la fleur           Elvira Sastre


J’ai arrondi les coins des rues

pour ne pas trouver de monstres au tournant

et ils m’ont attaquée par derrière

Je me suis léché la figure quand je pleurais

pour me souvenir du goût de la mer

et je n’ai senti que brûlure aux yeux.

J’ai attendu les bras croisés

pour m’enlacer

et je me suis heurtée contre mon propre corps.

J’ai tant menti

que quand j’ai dit la vérité

je ne
me suis

pas

crue.

 

 

J’ai fui

les yeux ouverts

et le passé m’a rattrapée.

J’ai accepté

les yeux fermés

des coffres vides

et je me suis sali les mains.

J’ai écrit ma vie

et ne me suis pas reconnue.


J’ai tant aimé

que je me suis oubliée.

J’ai tant oublié

que j’ai cessé de m’aimer.

(...)


J’ai perdu le cap

mais j’ai connu la vie en chemin.

Je suis tombée

mais dans la descente j’ai vu des étoiles

et l’écroulement a été un rêve.


J’ai saigné,

mais

toutes mes épines

se sont transformées en rose.


Et maintenant

ma vie sent la fleur.


Trad: Colo


MI VIDA HUELE A FLOR Elvira Sastre


He redondeado esquinas
para no encontrar monstruos a la vuelta
y me han atacado por la espalda.
He lamido mi cara cuando lloraba
para recordar el sabor del mar
y solo he sentido escozor en los ojos.
He esperado de brazos cruzados
para abrazarme
y me he dado de bruces contra mi propio cuerpo.
He mentido tanto
que cuando he dicho la verdad
no
me
he
creído.


He huido
con los ojos abiertos
y el pasado me ha alcanzado.
He aceptado
con los ojos cerrados
cofres vacíos
y se me han ensuciado las manos.
He escrito mi vida
y no me he reconocido.




He querido tanto
que me he olvidado.
He olvidado tanto
que me he dejado de querer.


(...)

He perdido el rumbo
pero he conocido la vida en el camino.
He caído
pero he visto estrellas en mi descenso
y el desplome ha sido un sueño.

He sangrado,
pero
todas mis espinas
han evolucionado a rosa.

Y ahora
mi vida
huele a flor.





12 sept. 2021

Riche de pourpre et de mélancolie / Rica de púrpura y de melancolía

 

Cette semaine dans ma boite aux lettres, une enveloppe, une écriture amie. À l’intérieur un article et la traduction en français de ce poème de Gabriela Mistral. Merci beaucoup Marie !

                           http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/tala--1/html/ff25d1ee-82b1-11df-acc7-002185ce6064_8.html
 

Richesse, par Gabriela Mistral

J’ai le bonheur fidèle
et le bonheur perdu :
j’ai l’un comme une rose,
l’autre comme une épine.
De ce qu’on m’a volé,
ne suis dépossédée :
j’ai le bonheur fidèle
et le bonheur perdu,
et suis riche de pourpre
et de mélancolie.
Ah ! quelle aimée est la rose
et quelle amante l’épine !
Tel le double contour
de deux fruits faux jumeaux,
j’ai le bonheur fidèle
et le bonheur perdu.


Traduit par Irène Gayraud.

Sous le titre Essart, Irène Gayraud publie le premier recueil de traduction en français de poèmes de Gabriela.  Curieux ce vide pour une poète qui a eu un prix Nobel, applaudissements donc !!!!

NB: En mars, vous vous en souvenez peut-être, 2 billets sur cette poétesse:

https://espacesinstants.blogspot.com/2021/03/gabriela-1.html

https://espacesinstants.blogspot.com/2021/03/gabriela-2.html





Riqueza

Gabriela Mistral

Tengo la dicha fiel
y la dicha perdida:
la una como rosa,
la otra como espina.
De lo que me robaron
no fui desposeída;
tengo la dicha fiel
y la dicha perdida,
y estoy rica de púrpura
y de melancolía.
¡Ay, qué amante es la rosa
y qué amada la espina!
Como el doble contorno
de dos frutas mellizas
tengo la dicha fiel
y la dicha perdida.


5 sept. 2021

Voix / Voz

 

Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles ; et l'harmonie la plus douce est le son de voix de celle que l'on aime. “

Jean de La Bruyère



Pourquoi diable cette citation aujourd’hui penserez vous peut-être avec raison.
Et bien, vous me connaissez un peu, pour introduire ce court poème
d’Alejandra Pizarnik.

 

Présence
ta voix
là où les choses ne peuvent s’extraire
de mon regard
elles me dépouillent
font de moi une barque sur un fleuve de pierres
si ce n’est ta voix
pluie seule dans mon silence de fièvres
tu me détaches les yeux
et s’il te plaît
que tu me parles
toujours

 

(traduction Silvia Baron Supervielle)

 

                           Paul Klee, harmonie des couleurs.

 

Presencia - Pizarnik



tu voz

en este no poder salirse las cosas

de mi mirada

ellas me desposeen

hacen de mí un barco sobre un río de piedras

si no es tu voz

lluvia sola en mi silencio de fiebres

tú me desatas los ojos

y por favor

que me hables

siempre



Bonne semaine à tous, ¡que paséis una buena semana!