Pages

27 juil. 2011

Une question d'honneur / Un asunto de honor


Monsieur Palomar « avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors » (Palomar, Italo Calvino, 1983)

El señor Palomar « había decidido que su principal actividad sería mirar las cosas desde fuera” (Palomar, Italo Calvino, 1983)

Voici aujourd’hui quelques extraits du chapitre intitulé « Le pré infini » que je dédie à tous ceux qui ont des pelouses…
Chez moi, vu le climat et la rareté de l’eau, c’est comme ça :

Hoy unos extractos del capítulo titulado « El prado infinito » que dedico a todos los que tienen un césped… En mi casa, debido al clima y la rareza del agua, es así:


Autour de la maison de monsieur Palomar, il y a un pré.
Mais ce n’est pas là un endroit où il devrait naturellement y avoir un pré : le pré est donc un objet artificiel composé d’objets naturels, c’est-à-dire d’herbes. Ce pré a pour fin de représenter la nature, et cette représentation-là s’est faite en remplaçant la nature propre du lieu par une nature naturelle en elle-même, mais artificielle par rapport au lieu. En somme : ça coûte cher ; le pré demande sans cesse des dépenses et de la fatigue : pour le semer, l’arroser, y mettre de l’engrais, le débarrasser des insectes, le faucher.

Alrededor de la casa del Sr. Palomar hay un prado. Pero no es ese un sitio donde debería naturalmente haber un prado: el prado es pues un objeto artificial compuesto de objetos naturales, es decir de hierbas. La finalidad de ese prado es representar la naturaleza y esa representación se ha hecho reemplazando la naturaleza propia del lugar por una naturaleza natural en ella misma pero artificial en relación con el lugar. Pero todo eso cuesta caro; el prado exige sin parar gastos y fatiga: sembrar, regar, abonar, desinsectar, segar.

Le pré, pour avoir un bel aspect, doit être une étendue verte uniforme : résultat non naturel auquel parviennent naturellement les prés voulus par la nature. Ici, en observant chacun des morceaux, on découvre l’endroit où le jet d’irrigation du tourniquet n’arrive pas, ainsi que l’endroit où, au contraire, l’eau pleuvant d’un jet continu fait pourrir les racines, l’endroit où les mauvaises herbes profitent de l’arrosage approprié.

El prado para tener un buen aspecto debe ser una superficie verde uniforme: resultado no natural al cual acceden naturalmente los prados queridos por la naturaleza. Aquí, observando cada parte del prado, vemos el sitio al que no llega el aspersor, así como aquel donde, al contrario, el agua cayendo en chorro continuo pudre las raíces, o el sitio, en fin, donde las malas hierbas se aprovechan de un riego adecuado.

Quand on commence à déraciner un chiendent, on en voit aussitôt pousser un autre un peu plus loin, et un autre, et un autre encore.
Il ne reste que les mauvaises herbes ? C’est bien pis encore : les mauvaises herbes sont entremêlées aux bonnes de manière si drue qu’on ne peut pas enfoncer les mains au milieu et tirer. On dirait qu’une entente complice s’est crée entre les herbes de semis et les sauvages, un relâchement des barrières imposées par les disparités de naissance, une tolérance à la dégradation. Certaines herbes sauvages n’ont point en elles-mêmes un air maléfique ou insidieux.
Pourquoi ne pas les admettre au nombre de celles qui appartiennent de plein droit au pré, et les intégrer à la communauté des herbes cultivées ? C’est le chemin qui mène à quitter le « pré à l’anglaise » et à se replier sur le « pré rustique » abandonné à lui-même. « Tôt ou tard, il faudra bien se décider à ce choix », pense monsieur Palomar ; mais il aurait l’impression de céder sur une affaire d’honneur.

Cuando se empieza a desarraigar una grama, enseguida aparece una un poco más lejos, y otra, y otra más.

¿Sólo quedan las malas hierbas? Todavía es peor: las malas hierbas se entremezclan con las buenas de una manera tan recia que es imposible meter las manos en medio y tirar. Se diría que un acuerdo cómplice se ha creado entre las hierbas de siembra y las salvajes, un relajamiento de las barreras impuestas por la disparidad del nacimiento, una tolerancia resignada a la degradación. Algunas hierbas salvajes no tienen en ellas mismas un aspecto maléfico o insidioso. ¿Por qué no admitirlas entre aquellas que pertenecen de pleno derecho al prado e integrarlas a la comunidad de hierbas cultivadas? Pero ese es el camino que lleva a abandonar el “prado a la inglesa” y replegarse al “prado rustico” abandonado a él mismo. “Pronto o tarde es lo que habrá que elegir” pensó el Sr. Palomar; pero tendría la impresión de ceder en un asunto de honor.

Palomar est devenu distrait, il n’arrache plus les mauvaises herbes, il ne songe plus au pré : il pense à l’univers. Il essaie d’appliquer à l’univers tout ce qu’il a pensé du pré. L’univers comme cosmos régulier et ordonné, ou comme prolifération chaotique. L’univers fini peut-être, mais innombrable, aux limites instables, qui ouvre en lui d’autres univers…

Palomar se ha vuelto distraído, ya no arranca las malas hierbas, ya no piensa en el prado: piensa en el universo. Intenta aplicar al universo todo lo que pensó del prado. El universo como cosmos regular y ordenado, o como proliferación caótica. El universo finito tal vez, pero innumerable, con límites inestables, que abre en sí otros universos…

Trad: MH y Colo

Photos:1 Colo 2 http://espacesvertshortion.blogs.sudouest.fr/la-pelouse/ 3 http://www.omafra.gov.on.ca/french/crops/facts/08-030w.htm

20 commentaires:

  1. Les prés se mangent ! Il s'y trouve toutes sortes d'herbes qui se mangent et que l'on peut se faire en salade mélangée (c'est très bon, j'en mange très souvent depuis que j'ai fait cette découverte).
    Les feuilles d'achillée, de pissenlit, de roquette, d'égopode, d'arroche, de bourrache (feuilles et fleurs), de capucine (feuilles et fleurs), de trèfle ((feuilles et fleurs),de plantain lancéolé, de lamier, de mouron des oiseaux, de menthe, d'oseille et j'en oublie. Avec de l'huile d'olive ou de colza 1re pression à froid, du citron, du sel, des graines de sésame et un peu d'ail (ou sans), c'est absolument délicieux !!!!

    RépondreSupprimer
  2. **Euterpe, ah, c'est merveilleux, tu "regardes les choses" avec un œil d'experte, merci!
    Je ne connais pas le lamier, mais dès que la pluie aura reverdi l'île, je me prépare une salade-santé aillée, huile d'olive!

    RépondreSupprimer
  3. je suis bien d'accord avec son observation : parfois j'ai l'impression que les mauvaises herbes (mais au fond sont-elles si mauvaises que cela ?) se donnent le mot pour envahir mon gazon. Accroupie, je désherbe avec mon couteau... patience !

    RépondreSupprimer
  4. Palomar ne pense plus au pré : il pense à l’univers … il applique à l’univers ce qu’il pense du pré … : cosmos régulier ou prolifération chaotique … That is the question … Doulidelle .
    ...

    RépondreSupprimer
  5. **Lautreje, une fois à la retraite, mon père dédiait une grande partie de son temps à chouchouter sa pelouse. Chaque été, quand j'allais le voir, les conversations sur "les mauvaises" herbes et surtout (ça j'adorais)sur "les ronds ou cercles de sorcière" étaient quotidiennes.

    RépondreSupprimer
  6. **Doulidelle, quel plaisir de vous retrouver!
    Ce livre de Calvino est composé de courts récits-observation de la plage, du jardin, du ciel, de la ville...sur le sifflement du merle même! Le ton est souvent humoristique mais le fond en est philosophique. Une merveille.

    RépondreSupprimer
  7. Avant même de commenter ce billet je suis allée voir si ce livre est disponible, quelqu'un qui parle aussi bien des prés mérite une place de choix sur nos étagères
    bien sûr il est épuisé mais je n'ai pas dit mon dernier mot
    j'aime beaucoup l'idée d'Euterpe : manger des herbes, en bonne lyonnaise je recommande les pousses de pissenlit dites dent de lion avec des lardons grillés et un peu de vinaigre chaud dessus et toc sur la salade un régal !
    Quant au carré d'herbe sur ma terrasse ce serait la version rustique à l'abandon ....

    RépondreSupprimer
  8. Alors, cédons au rustique, mélangeons les cultures, diverses et complices, disparates et fortes ! Une belle idée de la " prairie ".

    RépondreSupprimer
  9. **Dominique, lardons, vinaigre chaud? Miam! Cela ressemble furieusement à la salade liégeoise...je m'en vais faire quelques recherches!
    J'espère que tu trouveras un Monsieur Palomar. Belle journée Dominique.

    **Bonjour Sable, que j'aime tes mots!
    Cédons, mélangeons; un joyeux méli mélo.
    Je t'embrasse, bonne journée.

    RépondreSupprimer
  10. l'univers qui ouvre en lui d'autres univers... tant qu'on ouvre les yeux et qu'on entend le silence, il se révèle à nous, infiniment grand ou infiniment petit, tu ne crois pas? tout est dans tout et le pré chaotique du retour de vacances était dans notre assiette ce midi: laitue, roquette, épinard et coriandre, queue d'échalotte dans les oeufs brouillés des poules de chez mes parents, un bonheur sain et la fierté du potager de mon mari...
    bisous Colo et merci pour les rayons de soleil qui m'ont fait un grand bien, dans notre fraiche et pluvieuse Belgique.
    delphine

    RépondreSupprimer
  11. **Delphine, oui, tu as raison et c'est ce que fait Palomar: de l’observation du minuscule "fini" il s'évade en pensées vers l'univers infini...un superbe voyage.
    Ces réflexions philosophiques nous mènent...à nos assiettes, c'est bien amusant. Un beso de sol.

    RépondreSupprimer
  12. La pelouse !! Voilà un sujet de discussion régulier entre mon mari et moi depuis des siècles ;-): il aime le green uniforme et moi j'adore les pissenlits et toutes ces fleurs très mignonnes ! Cette année j'ai gagné, pas d'engrais toxique et une tonte plus haute. Du coup nous assistons au retour heureux des insectes, des papillons, des hérissons... tous ces petits univers dont nous avons oublié le goût et le ravissement.
    (Hum, c'est qui la traductrice MH ?)

    RépondreSupprimer
  13. **MH, tu as gagné....bravo! "Retour heureux" de la biodiversité, c'est tellement mieux. Des hérissons aussi, super.
    Je sais que les puristes et les joueurs de golf ne seront pas d'accord mais tant pis!
    (MH est en fait MAH, Miguel-Angel H., mon aide- traducteur et correcteur sur place. Tu pensais avoir un double à Majorque?:-) Dommage...
    Je t'embrasse.

    RépondreSupprimer
  14. J'adore cet extrait de texte, je déteste le gazon, j'aime les mauvaises herbes, je vais lire ce livre en entier! Merci Colo et bonne journée! Bises+

    RépondreSupprimer
  15. Non, je n'ai pas d'hérisson dans le jardin, j'en rêve.
    Merci pour l'autre MH... je m'en doutais mais je ne savais pas que tu avais un ange à tes côtés !
    Superbe soie de rose à droite.

    RépondreSupprimer
  16. **Terre Indienne, bonne lecture et belle journée à toi.

    **MH, tant qu'à faire, autant bien s'entourer....

    RépondreSupprimer
  17. Je me suis régalée en lisant ton billet et les commentaires, comme quoi "regarder les choses du dehors" conduit à regarder les choses du dedans. A regarder autour des chalets qui poussent comme des champignons à Nendaz, il y a les partisans du vert lisse, disons les batailleurs acharnés ; les libres-fleuristes, appelons-les ainsi, qui laissent les fleurs sauvages (mauvaises herbes) s'épanouir comme avant, se contentent parfois de faucher juste un mètre ou deux près de la maison ; des jardiniers amateurs de terrains pentus ; et puis surtout, chez les gens du cru, de splendides potagers. Tiens, je retrouve dans ton jardin la merveilleuse ombrella rose...
    La maison d'Alfabia, voilà encore un endroit à voir quand je retournerai sur ton île.
    Beau billet de sables et d'eaux mêlés. Plic, plac, plic, ploc, ici la pluie joue sur les lattes de la terrasse à faire des ronds, des bulles, des allers-retours dans les rainures, tandis que les gouttes composent ailleurs de jolis colliers.

    RépondreSupprimer
  18. **Tania, nous sommes bien contents de t'avoir, tous ensemble, régalée! Ravie de te retrouver aussi.
    Mon potager écologique "bat son plein", beaucoup d'aubergines, de haricots et tomates. Par contre peu de courgettes....ah, la nature!
    Plic ploc ici aussi, orages, puis temps lourd, un jour de soleil et rebelote. La vie...Je t'embrasse.

    RépondreSupprimer
  19. J'aime les jardins à l'anglaise, ne pas trop brider la nature et pas d'engrais toxique, pour les limaces des petits pots de bière...
    Ce monsieur Palomar est un philosophe, merci pour le partage :-)

    RépondreSupprimer
  20. **Marcelle, moi aussi j'aime les jardins anglais,leur air sauvage. Bonne semaine!

    RépondreSupprimer