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27 sept. 2018

Immenses espérances / Inmensas esperanzas


Parfois je suis lasse de toutes les injonctions à vivre le moment présent; j’ai donc fort apprécié ce poème où demain offre de l’espoir, où demain est coloré et sensuel.


Demain Pedro Salinas

"Demain" Le mot allait, délié, vacant,
sans poids dans le vent,
si dénué d'âme et de corps,
de couleur, de baiser,
que je l'ai laissé passer
près de moi aujourd'hui.

Mais soudain toi
tu as dit : "Moi, demain..."
Et tout se peuple
de chair et de bannières.
Sur moi se précipitaient
les promesses
aux six cents couleurs,
avec des robes à la mode,
nues, mais toutes
chargées de caresses.

En train ou en gazelles
m'arrivaient -aigus,
sons de violons-
des espoirs ténus
de bouches virginales.
Ou rapides et grandes
comme des navires, de loin, comme des baleines
depuis des mers distantes,
d'immenses espérances
d'un amour sans final.

Demain ! Quel mot
vibrant, tendu
d'âme et de chair rose,
corde de l'arc
où tu posas, si effilée,
arme de vingt années,
la flèche la plus sûre
lorsque tu dis : "Moi...."

Recueil “La voix qui t'est due”
Traduction Bernard Sesé
La tête à l'envers


Mañana
«Mañana». La palabra
iba suelta, vacante,
ingrávida, en el aire,
tan sin alma y sin cuerpo,
tan sin color ni beso,
que la dejé pasar
por mi lado, en mi hoy.

Pero de pronto tú
dijiste: «Yo, mañana...»
Y todo se pobló
de carne y de banderas.
Se me precipitaban
encima las promesas
de seiscientos colores,
con vestidos de moda,
desnudas, pero todas
cargadas de caricias. 

En trenes o en gacelas
me llegaban -agudas,
sones de violines-
esperanzas delgadas
de bocas virginales.
O veloces y grandes
como buques, de lejos,
como ballenas
desde mares distantes,
inmensas esperanzas
de un amor sin final. 

¡Mañana! Qué palabra
toda vibrante, tensa
de alma y carne rosada,
cuerda del arco donde
tú pusiste, agudísima,
arma de veinte años,
la flecha más segura
cuando dijiste: «Yo...»

20 sept. 2018

Temps d'île / Tiempo de isla


Cadeau, superbe cadeau d’une amie ce court et recueil de Pedro Salinas “La mer lumière”. Version bilingue, magnifique traduction.
Bien qu’elle ne vive pas comme moi sur une île, nous partageons la même mer, la même lumière, le même sable...merci!



Temps d’île
Pedro Salinas
1
Qui m’appelle de la voix
d’un oiseau qui crie?


Quel amour m’aime, quel amour
m’invente des caresses,


caché entre deux airs,
simulant la brise?


Le palmier, qui l’a mis
- celui qui me rafraîchit


avec des souffles d’ombres et de soleil -
là où moi je le souhaitais?


Le sable, qui l’a lissé,
si lisse, si lisse,


pour qu’en traits infiniment légers
la main m’écrive,


sur une amante que je n’ai jamais vue,
sur une amante cachée,


parmi la pudeur de l’écume,
messages d’ondines?


Pourquoi me donne-t-on tant de bleu
sans que je le demande,


le ciel qui l’invente,
la mer, qui l’imite?


Quel est le Dieu qui au huitième jour
m’a tracé cette île,


commerce de beautés,
bourse sans cupidité?


Ici, terre, ciel et mer,
vendant


écume. sable, soleil, nuage,
trafiquent allègrement;


sans fraude ils s’enrichissent,
- des gains très purs -,


pour des aurores ils donnent des astres,
ils échangent des merveilles.


Le temps des îles: on le compte
avec des chiffres magiques;


l’heure n’a plus de minutes:
soixante délices;


avril passe tel trente soleils,
et un jour est un jour.


Qui en emportant les angoisses,
a donné forme au bonheur?



Recueil: La mer lumière, Pedro Salinas. PUF Blaise Pascal.
Traduction Bernadette Hidalgo Bachs.

TIEMPO DE ISLA Pedro Salinas
1
¿Quién me llama por la voz
de un ave que pía?


¿Qué amor me quiere, qué amor
me inventa caricias,

escondido entre dos aires,
fingiéndose brisa?

La palmera, ¿quién la ha puesto
la que me abanica

con soplos de sombra y sol—
donde yo quería?

La arena, ¿quién la ha alisado,
tan lisa, tan lisa,

para que en rasgos levísimos
la mano me escriba,

de amante que nunca he visto,
de amante escondida,

entre pudores de espuma,
mensajes de ondina?

¿Por qué me dan tanto azul,
sin que se lo pida,

el cielo que se lo inventa,
el mar, que lo imita?

¿Cuál fue el dios qué un día octavo
me trazó esta isla,

trocadero de hermosuras,
lonja sin codicia?

Aquí tierra, cielo y mar,
en mercaderías

de espuma, arena, sol, nube,
felices trafican;

sin engaño se enriquecen,
ganancias purísimas—,

luceros dan por auroras,
cambian maravillas.

Tiempo de isla: se cuenta
por mágicas cifras;

la hora no tiene minutos:
sesenta delicias;

pasa abril en treinta soles,
y un día es un día.

¿Quién, llevándose congojas,
dio forma a la dicha?

12 sept. 2018

Paroles et silences II / palabras y silencios II



Parmi les nombreux poèmes de Roberto Juarroz parlant du silence dans "Poésie Verticale", j’ai choisi celui-ci qui aborde les variétés de silences.
 
L’illustration est d’un photographe hollandais, Teun Hocks. Chacune de ses photos raconte, dénonce, illustre un propos. Intéressant, très. Découvrez-le ici
Teun Hocks (Cosmic surroundings)

La hauteur de l'homme n'est pas la hauteur de la pluie,
mais son regard va plus loin que les nuages.” R. Juarroz

"La altura del hombre no es la altura de la lluvia,

 pero su mirada suele ir más allá de las nubes"

Le silence qui subsiste entre deux mots

Le silence qui subsiste entre deux mots
n'est pas identique au silence qui entoure une tête qui tombe,
ni à celui qui nimbe la présence de l'arbre
quand s'éteint l'incendie vespéral du vent.

De même que chaque voix a un timbre et une hauteur,
chaque silence a un registre et une profondeur.
Le silence d'un homme est différent de celui d'un autre
et ce n'est pas la même chose de taire un nom ou d’en taire un autre.

Il existe un alphabet du silence,
mais on ne nous a pas appris à l'épeler.
La lecture du silence est néanmoins la seule durable,
plus peut-être que le lecteur.
Dans « Poésie verticale » (traduction, légèrement modifiée par moi, trouvée sans nom du traducteur, hélas)


El silencio que queda entre dos palabras



El silencio que queda entre dos palabras
no es el mismo silencio que envuelve una cabeza cuando cae,
ni tampoco el que estampa la presencia del árbol
cuando se apaga el incendio vespertino del viento.

Así como cada voz tiene un timbre y una altura,
cada silencio tiene un registro y una profundidad.
El silencio de un hombre es distinto del silencio de otro
y no es lo mismo callar un nombre que callar otro nombre.

Existe un alfabeto del silencio,
pero no nos han enseñado a deletrearlo.
Sin embargo, la lectura del silencio es la única durable,
tal vez más que el lector.


5 sept. 2018

Paroles et silences 1 / Palabras y silencios 1



"No se trata de hablar, no se trata de callar: se trata de abrir algo entre la palabra y el silencio."

Roberto Juarroz 

" Il ne s'agit pas de parler, il ne s’agit pas de se taire: il s'agit d'ouvrir quelque chose entre la parole et le silence."

Dans son recueil Poesía vertical R. Juarroz explore encore et encore la relation entre notre Être, les silences et les paroles (ou mots).

Je vous propose quelques billets sur ces thèmes, des poèmes pas toujours aisés mais si profonds.

Pep Coll (Palma 1959) Arc III


Se taire peut être une musique,
une mélodie différente,
qui se brode en fils d'absence
sur l'envers d'un étrange tissu.
L'imagination est la véritable histoire du monde.
La lumière fait pression vers le bas.
La vie se répand soudain par un fil en suspens.


Se taire peut être une musique
ou le vide aussi,
puisque parler c’est le couvrir.
Ou se taire est peut-être
la musique du vide

(Trad: Colo)

Ce recueil, Poésie Verticale, est traduit en français, je ne le possède pas, mais si après quelques poèmes vous aimez...



Callar puede ser una música,
una melodía diferente,
que se borda con hilos de ausencia
sobre el revés de un extraño tejido.
La imaginación es la verdadera historia del mundo.
La luz presiona hacia abajo.
La vida se derrama de pronto por un hilo suelto.

Callar puede ser una música
o también el vacío
ya que hablar es taparlo.
O callar puede ser tal vez
la música del vacío.




En Poesía vertical