Peut-être ne connaissez-vous pas Vicente Huidobro?
Je
vous en reparlerai mais sachez déjà ceci: “L’influence de
Vicente Huidobro, tant de sa création que de ses théories, fut
considérable et dépassa le continent américain, pour s’étendre
à l’Europe, et notamment à la France et à L’Espagne. De cette
œuvre immense, nous ne connaissons, en France, qu’une part de
l’œuvre poétique...(…) Aujourd’hui, Huidobro est toujours
considéré comme un phare de la poésie hispanique et
sud-américaine. Au Chili, son prestige n’a pas diminué. En
France, pays dans lequel il a pourtant vécu et crée, il en va
autrement, malheureusement. Il aura fallu toute la pugnacité de
Fernand Verhesen, soit cinquante ans de combat acharné et passionné
(traductions, articles, publications), pour que cette œuvre ne
sombre pas totalement dans l’oubli.”(De
http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Vicente_HUIDOBRO-242-1-1-0-1.html)
Marin
Vicente
Huidobro (Chili 1893-1948)
Cet
oiseau qui vole pour la première fois
S’éloigne
du nid en regardant derrière lui
Le
doigt sur les lèvres
je t’ai
appelée.
Moi
j’invente des jeux d’eau
Sur
la cime des arbres.
J’ai
fait de toi la plus belle des femmes
Si
belle que le soir tu rougissais .
La
lune s’éloigne de nous
Et
jette une couronne sur le pôle
J’ai
fait courir des fleuves
qui
n’ont jamais existé
D’un
cri j’ai créé une montagne
Et, autour,
nous avons dansé une danse nouvelle.
J’ai
coupé toutes les roses
Des
nuages de l’est
Et
j’ai appris à chanter à un oiseau de neige
Partons
sur les mois déchaînés
Je
suis le vieux marin
qui
coud les horizons déchirés. (Trad: Colo)
Rafal Olbinski, Dancing to the end of love
Marino
Vicente
Huidobro (Chile 1893-1948)
Aquél
pájaro que vuela por primera vez
Se aleja del nido mirando
hacia atrás
Con el dedo en los labios
os he llamado.
Yo inventé juegos de
agua
En la cima de los árboles.
Te hice la más
bella de las mujeres
Tan bella que enrojecías en las tardes.
La luna se aleja de nosotros
Y arroja una corona sobre el polo
Hice
correr ríos
que nunca han existido
De
un grito elevé una montaña
Y en torno bailamos una nueva
danza. Corté todas las rosas
De las nubes del este
y enseñé a cantar a un
pájaro de nieve
Marchemos sobre los meses desatados
Soy
el viejo marino
que cose los horizontes
cortados
Quand
nous sommes arrivés elle était recroquevillée, minuscule, dans un coin de sa chaise
roulante. Ensuite elle a souri.
Février, hiver.
C’est
l’isolement des vieilles gens accru par le froid qui m’a
fait choisir cet extrait du roman « Pleine
lune »
d’Antonio Muñoz Molina, un grand roman. (si vous ne l'avez pas lu, cliquez sur le lien vous en saurez plus).
Es
el aislamiento de los mayores, aumentado por el frío, que me ha
hecho elegir ese pasaje de la novela “Plenilunio” de Antonio
Muñoz Molina, una gran novela.
« Il
passait trop de temps seul, s’imprégnant lentement d’oubli et de
vieillesse à laquelle il ne croyait pas et il n'y faisait au fond
pas fort attention, de la même façon qu’il ne s'arrêtait pas à
penser à la fadeur des aliments sans sel, au froid du carrelage de
sa chambre, à la laideur et mauvaise odeur de la bonbonne
de gaz qui le réchauffait, contemporaine du vase bleu électrique et
des fauteuils et du canapé tapissés de plastique vert. Il laissait
de côté ses tracas et ne se plaignait pas de sa solitude, mais
quand il reconnut le visiteur qui se tenait face à lui, dans la
maigre lumière du hall d’entrée, silencieux, malhabile, sans
encore dire son nom, il eut une effusion impudique de jovialité, un
soubresaut de gratitude qui lui humidifia les yeux et éveilla les
émotions les plus cachées de son âme, tendresse antique et
nostalgie sans motif, remords plus beau et plus ferme que les
souvenirs déjà en partie effacés qui le provoquaient. » (Trad.
Colo, je ne possède pas la version en français)
“Pasaba
solo demasiado tiempo, contaminándose despacio de postergación y
vejez a la que no daba crédito y a la que en el fondo no se fijaba
mucho, igual que no se paraba a considerar el tedio de los alimentos
sin sal, el frío de las baldosas de su cuarto, la fealdad y el mal
olor de la bombona de butano con la que se calentaba, contemporánea
del jarrón azul eléctrico y de los sillones y el sofá tapizados de
plástico verde. No hacía caso de su pesadumbre ni se quejaba de su
soledad, pero cuando reconoció al visitante que permanecía frente a
él, en la luz escasa del recibidor, callado, inhábil, aún sin
decir su nombre, tuvo una efusión impúdica de jovialidad, un
sobresalto de gratitud que le humedeció los ojos y le despertó las
emociones más escondidas de su alma, ternura antigua y nostalgia sin
motivo, remordimiento más precioso y más firme que los recuerdos ya
en parte borrados que lo provocaban.”
Dans
une interview, je ne sais plus laquelle, Marguerite Yourcenar disait
qu’on met plus de soi dans la poésie que dans les romans.
Je
veux penser qu’elle était d’humeur légère et ludique quand
elle a écrit ce calligramme, s’inspirant d’ Apollinaire, vers
1932.
Petrouchka
est l’équivalent russe de notre Polichinelle.
Si
vous suivez ce blog depuis un temps, vous savez qui est Silvia
Barón Supervielle, c’est elle qui a traduit, tâche extrêmement
compliquée, (mais elle a également traduit Borgès!), ce poème en
espagnol.
Deux
bijoux.
En
una entrevista, no me acuerdo cual, Marguerite Yourcenar decía que
en la poesía uno pone más de si mismo que en las novelas.
Quiero
creer que estaba de humor ligero y lúdico cuando escribió este
caligrama, inspirado de Apollinaire, en los años ‘30
Petroushka
es el equivalente ruso de nuestro Polichinelle (Polichinela).
La
traducción al español, tan complicada (pero ella tradujo a Borges!)
es de Silvia
Barón Supervielle.
Dos
joyas.
Poème
pour une poupée achetée dans un bazar russe M.
Yourcenar
Je
suis
Bleu
de roi
Et
noir de suie.
Je
suis le grand Maure
(Rival
de Petrouchka).
La
nuit me sert de troïka;
J’ai
le soleil pour ballon d’or.
Presque
aussi vaste que les ténèbres,
Mais
tout aussi fragile qu’un vivant,
Le
moindre souffle émeut mon corps sans vertèbres.
Je
suis très résigné, car je suis très
savant :
Ne
raillez pas mon teint noir, ni mes lèvres béantes,
Je
suis, comme vous, un pantin entre des mains
géantes.
Sa
vie est plus que remplie ces années-là : elle publie de la
poésie, dicte des conférences et est professeur dans une école
publique, dans une académie de musique et donne des cours du
soir...elle est heureuse. Mais vers les années '20 cet excès de
travail la mène à un épuisement physique et émotionnel, on dirait
burn
out de nos jour...repos total à la Mar de Plata. Mais bien
vite Alfonsina a besoin d’argent pour subvenir aux besoins de son
fils et elle reprend son rythme.
Trop vite.
Su
vida esta más que ocupada durante esos años : publica poesía,
da conferencias, es profesora en una escuela publica, también en una
academia de música e imparte cursos nocturnos… es feliz. Pero
hacia los años '20 este exceso de trabajo la lleva a un agotamiento
físico y emocional (ahora diríamos burn out) acaba en una cura de
reposo total en el Mar de Plata. Sin embargo, Alfonsina, pronto
necesitará dinero para cubrir las necesidades de su hijo y retomará
su ritmo. Demasiado pronto.
Alfonsina, Mar de Plata
Vers
la fin des années vingt, et malgré ses crises nerveuses, c’est
une femme qui a acquis une renommée dans un milieu masculin, qui
siège avec de grands noms de la vie intellectuelle, dont HoracioQuiroga avec qui elle a eu une relation intime.
A
finales de los años veinte, y a pesar de sus crisis nerviosas, es
una mujer que ha adquirido notoriedad en un medio eminentemente
masculino, que tiene su sitio entre los grandes nombres de la vida
intelectual como el de Horacio Quiroga con el que tuvo una relación
intima.
Si
jusque là sa poésie avait une forme très traditionnelle, dans
“Ocre” publié en 1925 (elle a 33 ans) ses vers deviennent plus
introspectifs, ses autoportraits plus ironiques, elle ose même
élaborer une théorie sexuelle dans une trilogie.
Elle
a maintenant découvert que la cause de ses douleurs n’est pas les
hommes mais elle-même . Que ces derniers ne peuvent que
lui
apporter des amours éphémères mais, comme elle vit les meilleurs
moments de sa vie, cela ne la préoccupe pas. Tout comme la laissent
indifférente certains critiques qui la traitent d’immorale.
Si
hasta ahora su poesía tenia una forma bastante tradicional, en
« Ocre » a partir de 1925 (tiene 33 años) sus poemas se
vuelven más introspectivos, sus autorretratos más irónicos, osa,
incluso, elaborar una teoría sexual. Ha descubierto que la causa de
sus dolores no son los hombres sino ella misma. Que estos últimos
tan solo pueden aportarla amores efímeros. Pero ni eso, ni cierta
criticas que la tratan de inmoral, la preocupan.
Mais,
vous l’attendiez, les choses commencent à se gâter. D’abord par
la représentation d’une pièce de
théâtre qu’elle a écrite, sa première, où sesidées
féministes sont
interprétées comme des accusations contre les hommes, et
qui est suspendue après trois
représentations. Elle en est très peinée et indignée.
Ensuite
les Ultraïstes, ce nouveau mouvement poétique argentin, lancent des
critiques acerbes sur ses vers intimistes.
Elle
décide alors de voyager, connaît la “Génération de ‘27”, va
à Paris et en rentrant son style change; elle se libère de la
forme, et adopte une façon plus visuelle de représenter les
émotions, une vision du monde instable et précaire, des images qui
nous arrivent “chargées de violence et tensions; l’angoisse
métaphysique est l’épine dorsale de ses poèmes”.*
Pero,
ustedes lo esperaban, las cosas empiezan a estropearse. Primero por
la representación de su primera obra de teatro en la que sus ideas
feministas son interpretadas como acusaciones contra los hombres y
que es suspendida después de tres representaciones. Esto la deja
apenada e indignada.
Después
por las acerbas criticas sobre sus versos intimistas que lanzan los
Ultraístas, un nuevo movimiento poético argentino.
Decide
viajar, conoce la « Generación del 27 », visita París y
otras ciudades europeas y a la vuelta su estilo cambia; se libera de
la forma y adopta una manera mas visual de representar las emociones,
una visión del mundo inestable y precaria; imágenes que nos llegan
« cargadas de violencia y tensión ; la angustia
metafísica es la espina dorsal de sus poemas ».*
À Paris
Quatre
ans plus tard elle publie “Mascarilla
y trébol” où dominent les images sombres, parfois grotesques:
c’est le moment
où on lui a
diagnostiqué un cancer du sein. Elle vit affreusement mal la
mutilation et durant les
deux années suivantes, son état empirant, elle voit clairement
venir la mort.
À
ce moment-là également, Alfonsina
qui est découragée et souffre énormément, reçoit la nouvelle que son très cher ami
Horacio Quiroga, ainsi
que sa fille Eglé qu’Alfonsina aimait beaucoup, se sont suicidés.
Nous
savons, par un poème dédié à Quiroga, qu’elle admirait la
décision courageuse
de l’écrivain ; suicide décidé, libre.
Cuatro
años más tarde publica « Mascarilla y trébol »libro en
el que dominan imágenes sombrías, grotescas algunas veces : es
el momento en que ha sido diagnosticada de cáncer de pecho. Vive muy
mal esta mutilación y su estado, que no hace más que empeorar, la
lleva a ver claramente venir la muerte. Al mismo tiempo recibe la
noticia de que Su gran amigo Horacio Quiroga y su hija se han
suicidado. Sabemos, por un poema dedicado a Quiroga que ella admiraba
la decisión del escritor : suicidio decidido, libre.
Monument Afonsina Storni, Mar de Plata
Elle
part à La Mar de Plata, pour se reposer dit-elle.
Mais...
Par
une nuit par une nuit pluvieuse, un nuit de douleurs intenses, et après avoir
écrit une lettre à son fils, elle se jette dans le mer. Octobre
1938.
Nous
avons, une sorte de testament, ce poème (que l’écrivain
Felix Luna a repris pour en faire cette chanson, si connue de tous je
crois “Alfonsina y el mar". La musique est du pianiste Argentin
Ariel Ramirez).
Se
va al Mar de Plata para
descansar, dice ella.
Pero…
Una
noche lluviosa, una noche de dolores intensos y después de haber
escrito una carta a su hijo, se tira al mar. Octubre 1938.
Tenemos
una especie de testamento, este poema. (El escritor Felix Luna se ha
servido de el para hacer la tan conocida canción « Alfonsina y
el mar » La música es del pianista argentino Ariel Ramirez).
Dents
de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce
nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon
sarclé de mousse.
Je
vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à
mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles
sont toutes belles : baisse-la un peu.
Laisse-moi
seule : écoute se rompre les bourgeons…
un pied céleste te
berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes
pour
que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :
s’il
venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que
je suis sortie…
Voy
a dormir (1938)
Dientes
de flores, cofia de rocío,
manos de hierbas, tú, nodriza
fina,
tenme prestas las sábanas terrosas
y el edredón de
musgos escardados.
Voy a dormir, nodriza mía,
acuéstame.
Ponme una lámpara a la cabecera;
una
constelación; la que te guste;
todas son buenas; bájala un
poquito.
Déjame sola: oyes romper los brotes...
te
acuna un pie celeste desde arriba
y un pájaro te traza unos
compases
para que olvides... Gracias. Ah, un encargo:
si
él llama nuevamente por teléfono
le dices que no insista, que
he salido...
Et
voici, je vous ai traduit les paroles de la chanson. J’ai
choisi comme interprètes
d’abord celle qui la première fois l’a enregistrée, Mercedes
Sosa en 1969, puis une autre version, plus
rythmée, qui m’a profondément émue. Les voilà.
Alfonsina
et la mer
Sur
le sable mou que lèche la mer
Sa
petite empreinte ne
revient pas
Un
sentier unique de peine et silence arriva
À
l’eau profonde
Un
sentier unique de peines muettes arriva
À
l’écume.
Dieu
sait quelle angoisse t’accompagna Quelles
anciennes douleurs tu as cachées Pour
t’allonger
bercée par le chant Des
caracolas
(conques)
marines La
chanson que chante dans l’obscur fond de la mer La
caracola
(conque)
Tu
t’en vas Alfonsina avec ta solitude Quels
nouveaux poèmes es-tu
allée
chercher? Une
voix antique de vent et de sel Te
flatte
l’âme
et l’emmène Et
tu t’en vas, comme en rêve, Endormie,
Alfonsina, vêtue de mer
Cinq
petites sirènes t’emporteront Par
des chemins d’algues et de corail Et
des hippocampes
fluorescents
feront Une
ronde à tes côtés Et
les habitants de l’eau vont
bientôt Jouer
à tes côtés
Baisseun
peu la lampe Laisse-moi
dormir, ma nourrice, en paix Et
s’il appelle ne
lui dis pas que j’y suis Dis-lui
qu’Alfonsina ne
revient pas Et
s’il appelle ne
lui dis jamais que j’y suis Dis
que je suis partie (Trad :
Colo)