Ce
billet est long, prenez votre temps...nous poursuivons avec Silvia Baron Supervielle
Esta
nota es larga, tomad vuestro tiempo...seguimos con Silvia Baron
Supervielle
sans
aller vers la mer
ni venir vers le fleuve
ni traduire le murmure
momentané de l'ombre
sans reprendre l'aventure
à la dérive et l'amour
enfoui dans la tranchée
ni retrouver la plaine
suspendue aux étoiles
ni parler du territoire
de l'espace dépris
de son pays
ni venir vers le fleuve
ni traduire le murmure
momentané de l'ombre
sans reprendre l'aventure
à la dérive et l'amour
enfoui dans la tranchée
ni retrouver la plaine
suspendue aux étoiles
ni parler du territoire
de l'espace dépris
de son pays
Sin
ir hacia el mar
ni
venir hacia el río
ni
traducir el murmullo
momentáneo
de la sombra
sin
retomar la aventura
a
la deriva y el amor
sepultado en la trinchera
sepultado en la trinchera
ni
encontrar la llanura
suspendida
en las estrellas
ni
hablar del territorio
del
espacio abandonado
de
su país.
(trad:
MAH-Colo)
Silvia
Baron Supervielle - Autour du vide
(les poèmes sont probablement traduits par elle-même, je n'en ai pas la traduction en espagnol et l'ai réalisée avec MAH)
Silvia
Baron Supervielle vit à Paris depuis 1961 et commença à écrire en
français quelques année plus tard. Je vous l'ai dit dans le billet
précédent, avec le temps elle est devenue une traductrice hors pair.
Née
à Buenos Aires en 1934, dans le Río de la Plata, sa mère, qui
mourut quand elle avait 2 ans, était Uruguayenne d'origine
espagnole, et son père Argentin d'origine française. C'est donc sa
grand-mère paternelle, cousine de Jules Supervielle qui l'éleva en
français. Mais c'est en espagnol qu'elle vécut son enfance et sa
jeunesse.
- Une Argentine qui vit à Paris, écrit en français mais se sent du Río de la Plata. Pourquoi?
- Al
escribir en francés no varían los recuerdos de la infancia y de la
adolescencia, que son esenciales. Además me siento cerca de los
escritores del Río de la Plata. Por eso los he traducido. No soy
una escritora francesa. Escribo en francés pero pertenezco al Río
de la Plata.
- En écrivant en français, les souvenirs de l'enfance et de l'adolescence, qui sont essentiels, ne varient pas. De plus je me sens proche des écrivains du Río de la Plata. C'est pour cela que je les ai traduits. Je ne suis pas une écrivaine française. J'écris en français mais je suis du Río de la Plata.”
Adulte elle voyage et décide de s'installer à Paris. Elle raconte:
"–Yo escribía poemas y cuentos en español, pero no pensaba seriamente en escribir. Tardé bastante en cambiar de lenguaje. Por complacer amigos, que querían leer algo mío, traté de traducirme, pero eran poemas largos, a veces sonetos. Entonces me puse a escribir en francés. Me gustó mucho, veía las cosas de otra manera. Le temía a la nueva lengua y sospecho que por ello escribí poemas breves. Fue la revelación de un estilo y con él, de un universo. Esos poemas me devolvían mi imagen, la soledad en la que estaba. Me vino la idea que podía ser una escritora. No porque mis poemas estuvieran en francés sino porque estaban en otra lengua. Las palabras estaban lejos. La desorientación me convenía.
- J'écrivais des poèmes et des contes en espagnol, mais je ne pensais pas sérieusement à écrire. J'ai pas mal tardé à changer de langue. Pour faire plaisir à mes amis, qui voulaient lire quelque chose de moi, j'ai essayé de me traduire, mais c'était de longs poèmes, parfois des sonnets. Alors je me suis mise à écrire en français. Ça m'a beaucoup plu, je voyais les choses d'une autre façon. J'avais peur de cette nouvelle langue et je soupçonne que c'est pour cela que j'ai écrit des poèmes courts. Ce fut la révélation d'un style et avec lui, d'un univers. Ces poèmes me rendaient mon image, la solitude dans laquelle je me trouvais. L'idée me vint que je pouvais être écrivaine. Pas parce que mes poèmes étaient en français mais parce qu'ils étaient dans une autre langue. Les mots étaient lointains. La désorientation me convenait."
alrededor
del vacío
me desnudo
para unirme
al perfil
en suspenso
aéreo
me desnudo
para unirme
al perfil
en suspenso
aéreo
autour du vide
je
me dénude
pour
m’unir
au
profil
en
suspens
aérien
On
lui doit des traductions en français de Jorge Luís Borges, Alexandra
Pizarnik, Silvina Ocampo, de Robeto Juarroz (tous originaires de
Buenos Aires), puis la traduction en espagnol de Marguerite
Yourcenar*
Ha
traducido al francés a Jorge
Luis Borges, Macedonio
Fernández, Alejandra
Pizarnik, Silvina
Ocampo, Roberto
Juarroz, y al español a Marguerite
Yourcenar *
-”J'appartiens aux absents” avez-vous dit.
–Tengo la casa llena de fotos de ausentes. Los que están lejos y los que se han ido mas lejos aún. Todos mis amigos están entre mis libros junto a escritores que admiro como Borges, Silvina Ocampo, Marguerite Yourcenar, etc. Sus rostros se acompañan. Estoy rodeada de ausentes maravillosos. No los cambiaría por muchos presentes.
-J'ai la maison pleine de photos d'absents. Ceux qui sont loin et ceux qui sont partis plus loin encore. Tous mes amis sont entre mes livres à côté d'écrivains que j'admire comme Borges, Silvana Ocampo, Marguerite Yourcenar, etc. leurs visages m'accompagnent. Je suis entourée de merveilleux absents. Je ne les échangerais pas pour beaucoup`de présents.”
Leon Spilliaert Marine avec sillon |
au
cours de la traversée
la mer articula une langue
hors des registres du son
et ce fut voir le sillage
se détacher de la cabine
et les périodes de la houle
ouvrir un étrange miroir
sur la surface circonscrite
ce fut commencer à suivre
des inflexions étonnantes
sur le hublot hermétique
et ni taire ni chanter
mais fendre le rythme
naturel du courant
la mer articula une langue
hors des registres du son
et ce fut voir le sillage
se détacher de la cabine
et les périodes de la houle
ouvrir un étrange miroir
sur la surface circonscrite
ce fut commencer à suivre
des inflexions étonnantes
sur le hublot hermétique
et ni taire ni chanter
mais fendre le rythme
naturel du courant
(Extrait
de Pages de voyage)
durante
la travesía
el
mar articuló un lenguaje
fuera
del registro del sonido
y
ver la estela
separarse
de la cabina
y
los periodos de oleaje
abrir
un extraño espejo
sobre
la superficie circunscrita
fue
comenzar el rastreo
de
inflexiones sorprendentes
sobre
la hermética ventanilla
y
ni cantar ni callarse
sino
atravesar el ritmo
natural
de la corriente
(Trad.
MAH; Colo)
Pour terminer, et c'est la partie de son interview qui me touche le plus, elle explique comment elle se sent toujours “entre deux” et contente de l'être:
"-¿Podría volver a Buenos Aires a vivir?
-Pourriez-vous revenir à Buenos Aires?
–Siempre me he dejado llevar por lo que se imponía. No creo que pueda hacer una elección. Si llega el momento, en que el regreso se impone, volveré. Si no, me quedaré en París. Ser extranjero –y ahora lo soy en todas partes– es también una manera de ser libre. La no integración es una libertad. No estoy integrada en ningún lado. Y no busco estarlo. No sé formar parte de un grupo humano. Pertenezco sólo a los que quiero que estén allí o aquí. Y Al Margen es quizá mi patria.
- Je
me suis toujours laissé porter par ce qui s'imposait. Je ne pense
pas pouvoir choisir. Si arrive le moment où le retour s'impose, je
reviendrai. Sinon je resterai à Paris. Être étranger – et
maintenant je le suis partout- est aussi une façon d'être libre. La
non intégration est une liberté. Je ne suis intégrée nulle part.
Et je ne cherche pas à l'être. Je ne sais pas faire partie d'un
groupe humain. Je n'appartiens qu'à ceux que je veux qu'ils soient
ici ou ailleurs. Et EN MARGE est peut-être ma patrie."
Source
de l'interview, (2-09-2013)
traduction Colo
*
Si l'amitié qui a surgi entre elle et Marguerite Yourcenar vous
intéresse, lisez ceci:
+preciosa
entrevista en español
http://www.pagina12.com.ar/diario/suplementos/espectaculos/4-29762-2013-09-02.html
J'aime beaucoup le dernier paragraphe, ce qu'elle exprime me paraît tellement juste et elle semble parfaitement en paix avec sa situation. Ses poèmes courts sont très beaux.
RépondreSupprimerBonjour Aifelle, je suis bien d'accord avec toi et de ses mots, loin du discours permanent de ceux qui seraient "à la recherche de leurs racines", se dégage une sereine solitude.
SupprimerJ'aime cette notion fière qu'elle n'échangerait pas ses merveilleux absents pour bon nombre des présents... Je partage et suis fière et apaisée de mes beaux absents qui souvent me consolent de certains présents :)
RépondreSupprimerEn lisant et traduisant ses mots Edmée je me disais qu'il faut avoir beaucoup vécu, et donc être âgé, pour arriver à si bien formuler ce que dans le fond nous ressentons souvent. Cette opposition absents-présents, bons et disons pires me semble si juste...et, je ne sais si c'est de la fierté, mais il faut oser le dire! :-)
Supprimer"Je suis entourée de merveilleux absents." - une phrase qui me touche beaucoup. Serait-ce eux qui peuplent le vide autour duquel elle écrit ? "Au cours de la traversée" me fait penser à la peinture de Spilliaert.
RépondreSupprimerPoète et traductrice, voilà une personnalité très intéressante à découvrir. Cet "entre deux" que tu connais si bien est fécond, porteur de liberté (en revanche je perçois moins bien ce qu'elle veut dire par ce qui "s'impose").
Beau dimanche, Colo.
J'ai lu d'autres mots d'elle où ce vide viendrait, oui, en partie, de la perte de sa mère. Elle vient d'ailleurs de publier un livre de photos-mots dont le sujet est sa mère.
SupprimerQuant à "s'imposer", dans le contexte de l'interview entière, il me semble qu'elle faisait référence à des "obligations" familiales, politiques, de santé ou autres qui nous imposent certains choix...
J'aimerais beaucoup mettre un tableau de Spillaert dans ce billet, tu en as un particulier en tête?
Un dimanche entre deux ici, bleu et blanc, chaud et frisquet. Un beso Tania.
Vous êtes évidemment sensible à une personne qui se sent "entre deux".
RépondreSupprimerJe suis particulièrement intéressé, pour ne pas dire passionné, par son rapport à la langue, la révélation d'un style (d'un univers) par peur d'une langue mal connue, les mots qui semblent lointains. Ce doit être une formidable aventure de création.
Traductrice de Borges et Yourcenar (dans les 2 sens !), voilà qui ne saurait que la placer en ma haute estime...
Oui, bien sûr que cet entre deux est, au début, difficile à gérer.
SupprimerFigurez-vous que même après près de 40 ans vécus ici, on me demande encore si je "me sens" plus belge qu'espagnole...quand c'est pas majorquine. Comment expliquer qu'on ne se sent rien de tout ça et tout à la fois? J'ai donc énormément aimé qu'elle mette des mots sur cet état imprécis et qui, pour moi aussi, est très plaisant et confortable.
J'ai lu énormément sur elle depuis trois semaines, voici un lien où vous trouverez plus d'explications sur la création, les mots...http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/12/silvia-baron-supervielle-sur-lautre-rive.html
Bonne fin de journée Christw, à bientôt.
Merci beaucoup pour le lien.
SupprimerMerci aussi pour Spilliaert, toujours déroutant et génial (je n'aime pas trop ce mot-ci trop couru, mais il l'est).
Avec plaisir, et sinon, le mot génial est galvaudé mais il s'applique à des génies, ce qui est parfait ici!
SupprimerPerdre sa mère à deux ans doit laisser des traces profondes.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ta réponse à Christw : "Comment expliquer qu'on ne se sent rien de tout ça et tout à la fois? " Il résulte une belle liberté !
Je vais voir ton dernier lien
Je t'embrasse Colo !
"Mais de traces je suis faite..." chantait Anne Sylvestre. Oui, certaines sont très profondes, celles de l'enfance particulièrement.
SupprimerBonne soŕee Fifi, un beso.
Peut-être cette "Marine avec sillon" ? http://users.skynet.be/bk212103/spilliaert.html
RépondreSupprimerMerci, je l'ai mise illico. Elle est parfaite, bien mieux que la photo du Río de la Plata!
Supprimerla non intégration comme liberté : il y faut du courage et une ouverture d'esprit rare
RépondreSupprimerBon alors je vois que contrairement à ce qui disent les scientifiques il y a bien un gène de la poésie, de Jules à Silvia hop il a sauté allègrement
Oui, c'est une femme tout à fait hors du commun et elle s'explique si bien que c'est encourageant...une pensée libre.
SupprimerComme elle a bien fait d'écrire en français ! Elle a crée sa propre langue, et dans la vie c'est cela qui rend véritablement libre. La langue est devenu son vrai pays que chacun peut désormais visiter.
RépondreSupprimerBien à toi Colo !
:-)))
C'est ça Yanis, et c'est bienheureux!
RépondreSupprimerMerci d'être passé, d'avoir écrit ces mots...à bientôt!
Une découverte très riche dont on ne peut tout saisir d un coup tant ton article est fouillé et le personnage profond. Une personnalité bien trempée par les chagrins de la vie, les rencontres décisives mais aussi une analyse précise des éléments qui l ont forgée. Beaucoup de courage, de talent. Une assurance gagnée pas à pas.
RépondreSupprimerBon choix de tableau aussi et de textes.
Merci.
Bonsoir Maïté, tu comprends que je me sois passionnée, j’avais dit énamourée, de cette dame. C'est cette réflexion sur son vécu qui m'a surtout attachée à elle. Et puis certains poèmes courts aussi.
SupprimerMerci à toi d'avoir pris le temps, de m'avoir suivie dans ces longueurs que je ne voulais pas écourter!!!
Tu es une mine, Colo ! J'ai lu passionnément cette page. Merci pour la découverte. A bientôt !
RépondreSupprimerBonsoir Danièle, oh que je suis contente que tu aies lu "passionnément". Il est parfois si difficile de transmettre un coup de coeur...durable.
SupprimerMerci à toi, bonne soirée.
J'aime bien ce que Yanis Petro a écrit !!! Et je reviendrai lire la seconde partie de ton billet si intéressant !
RépondreSupprimerBelle soirée Colo !!!
La fenêtre est toujours ouverte Enitram, à bientôt donc.
RépondreSupprimermerci beaucoup pour ces beaux poèmes et cet entretien. Le bord de mer de Spilliaert suggère-t-il que toi aussi tu aimes bien être entre deux ? :-)
RépondreSupprimerAvec plaisir Kwarkito.
SupprimerHum, alors c'est plus compliqué que ça...j'ai mis des années à me conformer à cet entre deux évident, maintenant j'en suis satisfaite. Lire les propos de Silvia Baron m'ont, comment dirais-je?, fait du bien. Positiver va toujours dans le bon sens, non?
Un besito, gracias.
Notre pays n'est pas seulement la terre où on est né, où on a vécu. Notre pays c'est aussi les liens que l'on tisse, les habitudes que l'on adopte et surtout les pensées que l'on cultive. Etre entre deux peut se révéler une grande richesse. Et comme disait Erri de Luca par le truchement d'un de ses personnages venu d'Argentine :"Le manque, c'est la présence !" (dans Montedidio, ou Le jour d'avant le bonheur)
RépondreSupprimerMerci pour ces mots d'Erri de Luca que je ne connais pas du tout, rien lu de lui, je note!
SupprimerBonne fin de journée Lily.
" Dans l’oeuvre poétique de Silvia Baron Supervielle, les mots sont des cordes frappées. Il y a une cadence qui s’impose comme la marche ou le mouvement d’un métronome. D’ailleurs ce qui intéresse l’auteur, "c’est l’espace du texte sur la page. J’aime que le poème soit centré. Je vais ramener les mots à la ligne, les casser pour obéir à la marque en train de se tracer sur le blanc. Je suis gouvernée par le besoin de suivre une démarcation, une empreinte sur la page. Voilà pourquoi le poème s’écrit de manière incomplète. Il manque toujours un mot, un sens. Il y a une bataille entre le silence du blanc, le sens et le tracé du texte sur la page. L’équilibre des trois n’est jamais parfait."
RépondreSupprimerChristophe Derouet, Les Inrockuptibles
Merci pour cette belle page
Merci à toi Aloïs pour ce rajout bien intéressant. La bataille entre le silence du blanc, le mot et sa présentation sur la page...c'est bien ça!
SupprimerBonne fin de journée.
Vous m'avez vraiment fait découvrir cette poétesse et je vous en remercie. Ce qu'elle écrit me touche beaucoup.
RépondreSupprimerJe vais tenter de voir ce que je peux trouver de livres d'elle à la médiathèque (mais je crains que ce ne soit pas facile).
Très bonne soirée.
PS. Le lien concernant son amitié avec Marguerite Yourcenar ne fonctionne pas.
Bonsoir Bonheur, je suis si contente que vous vous sentiez proche de sa poésie!
SupprimerPourvu que votre recherche aboutisse.
le lien Yourcenar fonctionne chez moi mais le revoici: http://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=459
merci d'être passée, douce soirée.