Mur hérissé d'espoir / Photo Colo
Je
m'en voudrais de quitter l'Uruguay sans vous traduire cet autre
extrait du LIVRE DES ÉTREINTES d'Eduardo Galeano.
Célebration
de la voix humaine /2
Ils
avaient les mains attachées ou menottées, et pourtant les doigts
dansaient. Les prisonniers étaient encapuchonnés mais en
s'inclinant ils arrivaient à voir un peu, un tout petit peu, vers le
bas. Bien que parler était interdit, ils conversaient avec les
mains.
Pinio
Ungerfeld m'a appris l'alphabet des doigts, qu'en prison il apprit
sans professeur;
- Certains
avaient une vilaine écriture - me dit-il -, d'autres étaient des
artistes de la calligraphie.
La
dictature Uruguayenne voulait que tous ne fassent qu'un seul, que
chacun ne soit personne; dans les prisons et dans tout le pays, la
communication était un délit.
Certains
prisonniers passèrent plus de dix ans enterrés dans des cachots
solitaires de la taille d'un cercueil, sans entendre d'autres voix
que le fracas des grilles ou les pas des bottes dans le corridor.
Fernández
Huidobro et Mauricio Rosencof, condamnés à cette solitude,
furent sauvés parce qu'ils purent se parler, par de petits coups sur
le mur.
C'est
ainsi qu'ils se racontaient rêves et souvenirs, amours et désamours:
ils discutaient, s'étreignaient, se disputaient; ils partageaient
certitudes et beautés et ils partageaient aussi doutes et fautes et
questions, de celles qui n'ont pas de réponse.
Quand
elle est vraie, quand elle naît du besoin de dire, rien ne peut
arrêter la voix humaine. Si on lui refuse la bouche, elle parle avec
les mains, ou par les yeux, ou par les pores, ou par n'importe où.
Parce
que tous, tous, nous avons quelque chose à dire aux autres, une
chose qui mérite d'être célébrée ou pardonnée par les autres.
Trad:
Colo
Pedro Figari /Uruguay |
No
quiero marcharme de Uruguay sin reproducir otro
texto sacado de El libro de los abrazos de
Eduardo Galeano.
Celebración
de la voz humana /2
Tenían
las manos atadas o esposadas, y sin embargo los
dedos danzaban. Los presos estaban encapuchados, pero
inclinándose alcanzaban a ver algo, alguito, por abajo.
Aunque hablar, estaba prohibido, ellos conversaban
con las manos.
Pinio
Ungerfeld me enseñó el alfabeto de los dedos, que
en prisión aprendió sin profesor:
-Algunos
teníamos mala letra - me dijo -, otros eran unos artistas de la
caligrafía.
La
dictadura uruguaya quería que cada uno fuera nada más
que uno, que cada uno fuera nadie; en cárceles y cuarteles
y en todo el país, la comunicación era delito.
Algunos
presos pasaron más de diez años enterrados en
solitarios calabozos del tamaño de un ataúd, sin escuchar
más voces que el estrépito de las rejas o los pasos
de las botas por los corredores. Fernández
Huidobro
y
Mauricio Rosencof, condenados a esa soledad, se salvaron
porque pudieron hablarse, con golpecitos a través de
la pared.
Así
se contaban sueños y recuerdos, amores y desamores:
discutían, se abrazaban, se peleaban; compartían
certezas y bellezas y también compartían dudas yculpas
y preguntas de esas que no tienen respuestas.
Cuando
es verdadera, cuando nace de la necesidad de
decir, a la voz humana no hay quien la pare. Si le niegan
la boca, ella habla por las manos, o por los ojos, o
por los poros, o por donde sea. Porque todos, toditos, tenemos
algo que decir a los demás, alguna cosa que merece
ser por los demás celebrada o perdonada.
Lien:
Manos y dedos que hablan / Mains et doigts qui parlent