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15 juin 2011

J. Semprún, tant de souvenirs /...tantos recuerdos

Toc-toc…c’est Alex de Bordeaux qui m’envoie un cadeau très personnel avec un mot : si tu veux, traduis-le en espagnol et mets-le sur ton blog.

Merci à toi Alex que je ne connais que par blogs interposés, toi dont les mots me font souvent rire, rêver, larmoyer.

Avec un léger retard dû à une traduction laborieuse, voici son bel hommage à Jorge Semprún.


Toc y toc,...es Alex de Bordeaux que me manda un regalo muy personal con una nota: si quieres tradúcelo al español y ponlo en tu blog.

Muchas gracias a ti Alex; a ti, que sólo conozco a través de los blogs, tú, que escribes unas palabras que a menudo me hacen reír, soñar, lloriquear.


Con un ligero retraso debido a una traducción laboriosa, aquí tienen su precioso homenaje a Jorge Semprún


Avec Yves Montand

Et puis, Jorge est mort!

Cours Dupré de Saint Maur, prés de la base sous-marine il reste des pavés. Le vieil homme traverse le pont de métal qui enjambe le pertuis entre les deux bassins.

Il se souvient des années jeunes.

Il se souvient qu’il fut soldat de la jeune République Espagnole chassé de Guernica par les balles de Franco et les stukas d’Hitler sous le regard impassible de l’Europe.

Il se souvient qu’il passa deux hivers au camp d’Argelès à regarder mourir des enfants, des femmes et des vieillards. Chaque mort était une solution au problème encombrant le gouvernement de la Troisième République, accueillant et généreux, fournissant les pompes plantées à quelques mètres de la mer les abreuvant d’eaux salées et leur permettant de dormir sous des abris indignes et précaires enroulés deux à deux dans des couvertures entre la gale et les poux.

Il se souvient des paysans qui venaient choisir les survivants, fouillant dans les bouches au marché aux esclaves, tâtant les muscles des plus robustes de cette main d’œuvre gratuite.

Il se souvient des deux années qui suivirent passées à la construction de la base sous-marine et des coups de crosse des gendarmes français le matin à 3 heures au camp de Saint-Médard en Jalles, puis des 12 heures de travail aux ordres des maîtres d’œuvre nazis et sous les bombes alliés intervenant juste un peu tard. Il se souvient de la libération, pas pour tout le monde.

Il se souvient des passeports et des menaces à peine voilées pour les candidats au retour. Rien n’a vraiment changé pour les bannis. L’exil, la traversée, des Pyrénées, des Alpes ou de la Méditerranée, et pour ceux qui survivent, l’espoir au mieux d’être parias et sans papiers ici, étrangers là-bas sur leurs terres natales.

Je sors de la base Sous marine où vient d’être projeté en avant première le film de Céline Alcazar « Petite rue de Saintonge » . Franco ou Mussolini avaient lancé cette mode des petits métiers : « rempart contre le communisme » validée par le monde libre et aveugle autorisant toutes les futures dictatures des Somoza, Videla, Pinochet et consorts. Rien ne bouge, alors "qu’on sort" à peine de cet autisme complice pour aussitôt les remplacer par : « Rempart contre l’islam » autorisant etc. etc…

Il reste des pavés Cours Dupré de Saint Maur et dans les pas du vieil homme aujourd’hui disparu, je passe sur le pont du pertuis à coté de la vieille écluse.

Je me souviens de C., instituteur là-bas maçon ici, que nous visitions le dimanche. J’ignorais ce que nous faisions-là et j’apprenais à lire dans les pages de « l’Humanité » les bonnes feuilles de « Pif le chien » communiste et de « Prince Valiant » tandis que les grands parlaient avec des voix basses de conspirateurs. Je relève mon col frissonnant de froid ou d’effroi rétrospectif : j’aurais pu devenir communiste. J’ai hérité de son Solex et je suis résistant…au chaud et froid.


Elliot, le chien, renifle entre les plantes rudérales, ces fleurs de pavé capables d’écarter les pierres pour que vive la vie.

Les émigrés, les exilés et les bannis sont ces plantes rudérales et désormais nous élisons en alternance les poseurs de pavés qui changent d’avatars pour exploiter la détresse avec quelques variantes. Rien ne change! Il y aura toujours des pavés pour écraser l’espérance. Il y aura aussi et toujours des fleurs de résistance.

Les fleurs de ceux qui se taisent, de ceux qui chantent, de ceux qui écrivent.
Et puis Jorge Semprún est mort."

¡Jorge ha muerto!

En Cours Dupré de Saint Maur, cerca de la base submarina quedan adoquines. El anciano atraviesa el puente de metal que pasa por encima de la compuerta entre las dos dársenas.

Se acuerda de sus años jóvenes. Se acuerda de que fue soldado de la joven República Española, expulsado de Guernica por las balas de Franco y los Stukas de Hitler bajo la mirada impasible de Europa.

Se acuerda de que pasó dos inviernos en el campo de Argelés viendo morir niños, mujeres y ancianos. Cada muerto era una solución al problema que molestaba al gobierno de la Tercera República, acogedor y generoso, suministrador de las bombas de agua situadas a escasos metros del mar y que les abrevaba de agua salada, les permitía dormir bajo refugios indignos y precarios envueltos, de dos en dos, en mantas infectadas de sarna y de piojos.

Se acuerda de los campesinos que venían a escoger, al mercado de esclavos, hurgando en las bocas, palpando los músculos, a los más robustos de aquella mano de obra gratuita.

Se acuerda de los dos años que siguieron, pasados en la construcción de la base submarina y de los golpes de culata de los gendarmes franceses a las tres de la mañana en el campo de Saint-Médard en Jalles, de las doce horas de trabajo a las órdenes de los capataces nazis bajo las bombas aliadas que intervenían justo un poco tarde.

Se acuerda de la liberación que no fue para todos.

Se acuerda de los pasaportes y de las amenazas apenas veladas para los candidatos al retorno. Nada ha cambiado verdaderamente para los desterrados. El exilio, la travesía de los Pirineos, de los Alpes o del Mediterráneo, y para los que sobreviven, la esperanza, en el mejor de los casos, de ser un paria sin papeles aquí, un extranjero allí, en su tierra natal.

Salgo de la base submarina donde acaba de ser proyectada en preestreno la película de Céline Alcazar “Petite rue de Saintonge” pronto en l’Utopia. Franco o Mussolini habían lanzado la moda de esas pequeñas empresas: “muralla contra el comunismo” validado por el mundo libre y ciego que, por lo mismo, autorizaba todas las futuras dictaduras de los Somoza, Videla, Pinochet y consortes. Nada se mueve cuando “salimos” apenas de ese autismo cómplice para reemplazarlo inmediatamente por “muralla contra el Islam” que autoriza etc., etc...

Quedan adoquines en Cours Dupré de Saint Maur y siguiendo los pasos del anciano, hoy desaparecido, paso sobre el puente de la compuerta al lado de la vieja esclusa.

Me acuerdo de C., maestro allá, albañil aquí, al que visitábamos los domingos. Yo ignoraba que hacíamos y aprendía a leer en las páginas de “l’Humanité” las viñetas de “Pif el perro” comunista y del “Principe Valiente” mientras que los grandes hablaban con la voz baja de los conspiradores. Levanto mi cuello tembloroso de frío y de pavor retrospectivo: hubiera podido acabar comunista. Heredé su Solex y resisto… al calor y al frío.


Elliot, el perro, olisquea entre las plantas “rudérales”*, esas flores de adoquín capaces de separar las piedras para que viva la vida.

Los emigrantes, los exilados y los desterrados son esas plantas “rudérales”* y en adelante elegiremos alternativamente los adoquineros que cambian los avatares para explotar el desamparo con algunas variantes. ¡Nada cambia! Siempre habrá adoquines para atropellar la esperanza. También habrá siempre flores de resistencia.

Las flores de aquellos que se callan, de aquellos que cantan, de aquellos que escriben.

Y Jorge Semprún ha muerto.

(Trad: Miguel-Angel y Colo)

Photos:

http://cabanedetellus.free.fr/Plantes_rud%C3%A9rales02_Tellus.html

http://fusiladosdetorrellas.blogspot.com/


25 commentaires:

  1. contente de vous trouver tous les deux sur la même plage - sous les pavés - joli partage pour cet hommage vibrant ! bisous

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  2. Plantes rudérales, l'image est belle.
    Salut aux deux complices !

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  3. Et moi qui arrache tous les jours les "pissenlits" de la terrasse hum, comment faire maintenant ?? ... euréka : parfois les pavés sont aussi ceux de l'espérance ;-)

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  4. Le lecteur du coin droit est magnifique, je dirais même plus, il est flamboyant !! Superbes tons.

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  5. **K.sonade, au printemps les entre-pavés verdissent joyeusement un peu partout...besos.

    **Salut à toi Tania. Les pavés, ça me rappelle nos années étudiantes aussi!

    **MH, Ce lecteur est l'oeuvre de Dustan Kaidi, http://www.kaididunstan.com/#painting.
    Pissenlits en salade?:-)

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  6. Je trouve tes billets toujours très laborieux et très riches. Sachant tout le travail que cela comporte je suis a chaque fois vraiment admiratif. Très.
    Très beau homme a celui qu'il y a encore un peu plus d'un an affirmait: "He perdido mis certidumbres pero conservo mis ilusiones"
    Bisous de l'Algarve

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  7. **Obrigada Armando, j’imagine que tu le sais bien aussi! Il y a des textes qui résistent...sous les pavés on finit pourtant par trouver l'expression, le mot.
    Fêtes populaires et plages, sardines et bacalao, amuse-toi bien dans la superbe Algarve.

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  8. Quel bel hommage et quel beau billet
    je m'associe à Armando pour dire : bravo à vous deux

    Il y a des hommes et des femmes dont la mort vous fait monter les larmes aux yeux, on se sent bête et nu comme si quelque chose vous était arraché

    j'aime particulièrement :
    Il y aura toujours des pavés pour écraser l’espérance. Il y aura aussi et toujours des fleurs de résistance.

    Et aussi la citation d'Armando que j'ai compris malgré mon espagnol précaire

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  9. "De los veinte ya no conservo la incertidumbre pero sí las ilusiones".
    Ces mot furent prononcés par Jorge évoquant ses vingt ans lorsqu'il était à Buchenval.
    Il avait des raisons pourtant jamais il n'écrivit la haine, juste la mémoire.
    Cual ejemplo.

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  10. **Oui Dominique, les yeux humides; heureusement certains laissent des écrits, des "oraux" enregistrés aussi...j'ai entendu il y a peu une interview de lui où on lui avait posé l’inévitable question quand on a adopté un autre pays, une seconde culture: "vous vous sentez plus français ou español?". Ce à quoi il a répondu "je me sens apatride". Et je me suis tant identifiée à cette réponse.

    **Dusport...merci aussi pour cette autre citation sur les illusions, l'espoir.
    Certitudes, incertitudes.....cultivons le doute et ne perdons pas la mémoire!
    Buen fin de semana

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  11. Gracias Dani por las últimas correcciones.
    Ya sabes, siempre quedan algunas faltitas, pero tu ojo de halcón... Un beso fuerte.

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  12. Tout bel hommage pour un grand monsieur!

    Edmée

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  13. A travers ce texte magifique, quel bel hommage à tous les résistants !
    "Elliot, le chien, renifle entre les plantes rudérales, ces fleurs de pavé capables d’écarter les pierres pour que vive la vie." : une superbe comparaison que je n'oublierai pas.

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  14. ** Danièle, "Viva la vida" me fait penser aussi à ce tableau de Frida Kahlo où domine le rouge éclatant des pastèques.
    (http://enlavalla.wordpress.com/2007/07/13/viva-la-vida-frida-kahlo/)

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  15. **Belle semaine à toi Edmée...attention au chocolat, miam!

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  16. Admirables « fleurs de résistance » !

    « Si on veut “ voir ” clairement avant de s’engager dans les affaires du monde, on risque de rester à contempler le spectacle : dilemme que chacun doit résoudre dans le contexte de son époque et dans la solitude de sa propre responsabilité. »
    (JORGE SEMPRÚN/SEMPRUN,
    http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01035271.htm).

    Joyeux été, Colo.

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  17. **Hélder, ces plantes et fleurs sont parfois (et par certains) appelées des "mauvaises herbes".

    Merci; dilemme, solitude, responsabilité, contexte, contempler: tout est dit.

    Ici la chaleur nous est tombée dessus sans transition printanière: qu'en faire? :-)

    Belle semaine à vous, Hélder.

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  18. Mon coeur est avec vous deux ... vous me donnez envie d'entrer dans la ronde.

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  19. **Sable, entre, entre, une folle farandole.
    Je t'embrasse.

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  20. ........"perdue parmi ces gens qui me bousculent
    Étourdie, désemparée, je reste là.
    Quand soudain je me retourne, il se recule
    Et la foule vient me jeter entre ses bras
    Emportés par la foule qui nous traîne
    Nous entraîne
    Écrasés l’un contre l’autre
    Nous ne formons qu’un seul corps

    Et le flot sans effort
    Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
    Et nous laisse tous deux
    Épanouis, enivrés et heureux

    Entraînés par la foule qui s’élance
    Et qui danse
    Une folle farandole
    Nos deux mains restent soudées

    Et parfois soulevés
    Nos deux corps enlacés s’envolent
    Et retombent tous deux
    Épanouis, enivrés et heureux

    Et la joie éclaboussée par son sourire
    Me transperce et rejaillit au fond de moi.
    Mais soudain je pousse un cri parmi les rires
    Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras

    Emportés par la foule qui nous traîne
    Nous entraîne
    Nous éloigne l’un de l’autre.
    Je lutte et je me débats

    Mais le son de sa voix
    S’étouffe dans les rires des autres.
    Et je crie de douleur, de fureur et de rage
    Et je pleure

    Entraînée par la foule qui s’élance
    Et qui danse
    Une folle farandole
    Je suis emportée au loin

    Et je crispe mes poings
    Maudissant la foule qui me vole
    L’homme qu’elle m’avait donné
    Et que je n’ai jamais retrouvé."
    Piaf, bien sûr, bel oiseau triste.
    et Le livre de Job: "Dieu a donné, Dieu a repris"
    C'est ballot!
    Merci à..... "La Foule"!

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  21. **Dusportmaispasque, c'est ça, vite et tout compris, bravo.

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  22. Je rejoins un de tes lecteurs Armando, quelle somme de travail, de la passion assurément et de la patience certainement. Bravo pour ce dépoussiérage permanent tu me fais penser à une cantatrice que j'aime beaucoup Cécilia Bartoli, qui dépoussière partitions et compositeurs marqués démodés et quand on sait le succès qu'elle rafle à chacun de ses passages...je me dis que dépousiérer est une noble tâche car tu offres à ceux qui n'ont ni la culture ni le temps un moyen de s'enrichir à ton contact.
    Je te fais en toute amitié une biz bien cordiale et avec un peu d'avance bon we

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  23. Il y a quelques temps j'avais écrit ça :

    Je n’ai jamais connu mon grand-père paternel, il est mort quand mon père avait deux ans. Il ne me reste de lui que les bribes nébuleuses des récits lointains de mon père alors que j’étais enfant, à l’âge de la curiosité débridée, ce temps où nous sommes conscients de l’importance de nos parents, du besoin que nous avons d’eux, cet âge qui précède l’envol, les poils et l’excroissance visible des parties génitales.
    L’enfant veut savoir. L’adolescent sait. L’adulte veut savoir. Le vieux sait qu’il ne saura jamais.
    Voici les quatre étapes qui selon moi et de façon incontestablement réductrice, par alternance, l’homme est. Durant mon adolescence, l’histoire de mon père n’était plus digne d’intérêt puisque je savais. Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai admis mon ignorance sur mes racines paternelles. Mon père est mort en un mois d’un cancer du pancréas sans que je n’aie eu le temps de lui poser les questions auxquelles je n’aurai probablement jamais plus de réponses.

    Je sais que mon grand-père était un résistant républicain anti-franquiste dans une Espagne déchirée par la Guerre Civile, la vraie, avec une majuscule. Les Guerres Civiles comportent une ignominie inavouable, le cannibalisme. Les hommes se bouffent, se mangent entre eux. Telles des morsures animales, les blessures et les cadavres offrent le spectacle de chairs en lambeaux de ceux-là mêmes qui étaient autrefois voisins, amis, collègues. La bestialité est un péché mignon de l’homme, un petit luxe qu’il s’approprie pour ne pas oublier qu’il reste avant tout un animal. Les guerres en sont le spectacle et le reflet fidèles. Les guerres civiles ont cette subtilité supplémentaire, l’homme lui, est capable de tuer son propre frère, peu d’animaux ont cette distinction. Mon grand-père s’appelait Joseph, il était résistant, athée et révolutionnaire.
    Mon père avait une sœur aînée que mes grands-parents avaient appelée Llibertad. Liberté en idiome catalan, en pleine guerre dictatoriale; la symbolique suprême de « Franco, je te pisse au cul ! »
    Angèle, ma grand-mère était enceinte lorsqu’il fallu quitter la Catalogne pour ne pas mourir sous les serres des franquistes.
    C’est mon père qu’elle portait dans son ventre. Un exil forcé et douloureux allait les déraciner de leur patrie, ils n’étaient pas les seuls, des centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants devaient subir le même sort. La pénible et interminable traversée des Pyrénées Orientales s’acheva pour les miens sur une plage d’Argelès sur Mer, par une nuit de l’hiver 1941. Ils devinrent aussitôt des réfugiés politiques dans des camps quasiment improvisés, plus ou moins bien organisés. Misère, froid, faim, tristesse et désarroi tissaient des tapis de détresses humaines sur ces plages qui sont aujourd’hui des lieux touristiques.
    Tout ceci semble si irréel, si improbable lorsque mes pieds foulent ce sable chaque été depuis quelques années. Pourtant je ne peux m’empêcher d’entendre les cris d’Angèle se délivrant prématurément de cet enfant qui allait être mon père. Il m’est impossible de ne pas écouter les pleurs de ce bébé minuscule, fragile, né deux mois trop tôt dans cet hiver français, étranger et froid, si froid qu’on l’installera dans une boîte conçue pour des chaussures, emmitouflé de linge récupéré ça et là sur la plage et entouré d’un amour démuni de patrie, d’argent, de confort. D’un amour tout nu. Unique de pauvreté. Riche et libre de tout ce rien.
    Le prématuré était un résistant comme son père, il résistera et survivra à sa fragilité complète, physique, économique, politique et géographique. Henri, c’était mon père.
    Il détestera l’Eglise et tous ses sbires, la corrida, les simples d’esprits aux pouvoirs, potentiellement dangereux , le néo-obscurantisme et par dessus tout il exécrait Julio Iglesias.
    Les chats ne font pas des chiens.
    Et moi qui bouffe mon pain blanc aujourd'hui, je me pose ces deux questions :
    Est-ce la société qui fait les hommes ?
    Et les hommes ne font-ils pas la société ?




    Gracias.

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  24. **Muchas gracias Li, ton texte, fort et très beau, me parle beaucoup, évidemment.
    Tu parles de Julio Iglesias, ça m'a fait sourire, car ici c'est ça aussi...et Sara Montiel, et..tantos otros, otras folclóricos/as!

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