Extrait des noces de Figaro-Mozart.
Continuons donc à parler des soupirs...
Aujourd’hui un texte en prose, poétique, où le poète colombien José Asunción Silva
(Bogotá 1865 – 1896, il s’est suicidé à 30 ans) commence par “si j’étais poète…”.
Soupirs
Si j’étais poète et pouvais fixer, avec des épingles, en rimes brillantes, la voltige des idées
agiles comme une volée de papillons blancs de printemps si je pouvais
cristalliser
les rêves en peu de strophes, je ferais un merveilleux poème où je parlerais de soupirs, de
cet air qui retourne à l’air, emportant avec lui quelques espoirs, des fatigues et
la mélancolie des hommes.
****
Et pour échapper aux soupirs de convention, ceux des romances sentimentales,
pleines de lunes de
pacotille et de rossignols triviaux, je parlerais des soupirs anxieux qui
flottent dans l’air
épais et imprégné d’odeur d’acide phénique, dans la lumière dorée des cierges
parmi l’arôme
vague des fleurs mortuaires, près de ceux dont les yeux, fermés
pour toujours, gardent
les traces violacées des dernières insomnies, et dont les lèvres s’abîmèrent avec le froid de la
mort.
****
Ah non ! Ce soupir serait trop triste pour en parler; son souvenir voilerait
les yeux neufs des lectrices, les yeux parfois sombres comme des nuits d’hiver, bleus et
clairs parfois, comme l’eau des lacs tranquilles.
Afin qu’ils ne se voilent pas, je parlerais du soupir de volupté et de fatigue
qui flotte dans
l’
air tiède d’une salle de bal, illuminée comme le jour, reflétée par des miroirs vénitiens; du
soupir d’une femme, jeune et belle, agitée par la valse, dont la peau de
pêche rosit,
et
dont les doigts de fée serrent fébrilement l’éventail de plumes flexibles qui
lui baisent la
jupe; du soupir sensuel et vague qui se perd parmi les blancheurs rosées dans
l’air où
palpite l’iris des diamants, où la lumière se brise dans l’air des rubis,
dans le bleu
mystérieux des saphirs, dans l’air qui emporte des tentations de tendresse et de baisers…
****
Même en étant poète et en écrivant un poème merveilleux, je ne pourrais parler d’un
autre soupir...du
soupir qui vient à toutes les poitrines humaines quand elles comparent le bonheur
obtenu,
le
goût connu, le paysage vu, l’amour heureux avec les bonheurs rêvés
qui jamais
ne se réalisent, ceux qui jamais n'offrent le Ah, non ! ce soupir serait trop
doux pour parler de lui, son souvenir ferait se rider
le front fatigué, et blanchir les cheveux des philosophes dont les veines ne font plus
courir, en flots
ardents, le sang de la jeunesse. Pour qu’ils puissent me lire je parlerais
plutôt du soupir
de
fatigue d’un vieux, d’un soupir entendu une soirée d’automne sur le chemin
qui va
du village
au cimetière.
(...)
(Trad: Colo. J'ai gardé la mise en forme originale)
Suspiros
José Asunción Silva
Si fuera poeta y pudiese fijar el revoloteo de las ideas en rimas brillantes y ágiles como
una
bandada de mariposas blancas de primavera con alfileres sutiles de oro; si pudiera
cristalizar
los sueños en raras estrofas, haría un maravilloso poema en que hablara de los suspiros,
de
ese aire que vuelve al aire, llevándose consigo algo de las esperanzas, de los cansancios y
de
las melancolías de los hombres.
* * *
Y para huir de los suspiros de convención, de las romanzas sentimentales, llenas de luna de
pacotilla y de ruiseñores triviales, hablaría de los suspiros angustiosos que flotan en el
aire
espeso e impregnado de olor de ácido fénico, en la luz dorada de los cirios, entre el aroma
vago de las flores mortuorias, cerca de aquellos cuyos ojos, cerrados para siempre,
guardan
las huellas violáceas de los últimos insomnios, y cuyos labios se ajaron con el frío de la
muerte…
* * *
¡Ah no! Ese suspiro sería demasiado triste para hablar de él; su recuerdo haría nublarse los
ojos nuevos de las lectoras, los ojos oscuros unas veces como noches de invierno, azules y
claros otras, como el agua de los lagos quietos.
* * *
Para que no se nublaran, hablaría del suspiro de voluptuosidad y de cansancio que flota en
el
aire tibio de una sala de baile, iluminada como el día, reflejada por espejos venecianos; del
suspiro de una mujer hermosa y joven agitada por el valse, cuya piel de durazno se sonrosa,
y
cuyos dedos de hada estrechan febrilmente el abanico de plumas flexibles que le besan la
falda; del suspiro sensual y vago que se pierde entre las blancuras rosadas en el aire donde
palpita el iris de los diamantes, donde la luz se quiebra en el aire de los rubíes, en el azul
misterioso de los zafiros, en el aire que arrastra tentaciones de ternuras y de besos...
* * *
Aun siendo poeta y haciendo el poema maravilloso, no podría hablar de otro suspiro... del
suspiro que viene a todos los pechos humanos cuando comparan la felicidad obtenida, el
sabor conocido, el paisaje visto, el amor feliz, con las felicidades que soñaron, que no se
realizan jamás, que no ofrece nunca la ¡Ah, no! Ese suspiro sería demasiado dulce para
hablar de él; su recuerdo haría arrugarse la
frente cansada, y blanquearía las canas de los filósofos, por cuyas venas no corre, en
oleada
ardiente, la sangre de la juventud. Para que pudieran leerme, hablaría más bien del
suspiro
de
cansancio de un viejo, de un suspiro oído una tarde de otoño, en el camino que va del
pueblo
al cementerio,
(...)
Mais quelle merveille, ce poème ! Merci ! Et Mozart avec cela, l'air de Chérubin ! Je l'écoute souvent, dans cette version par Frederica Von Stade qui est pour moi éternelle (https://www.youtube.com/watch?v=gA3yuwDq2H4&ab_channel=MUEZZAB)
RépondreSupprimerBonjour Marie, j'ai un peu hésité vu sa longueur, alors je suis fort contente que tu l'aies lu et apprécié.
SupprimerMagnifique interprétation de Frederica, un tout grand merci. Bon dimanche!
Je suis repassée ce matin pour le copier/coller. La poésie de d'Asuncion Silva est-elle publiée en français ?
SupprimerQuelle beauté ces noces et un soupir de contentement m’étreint. Bon dimanche !
RépondreSupprimerEn voilà un agréable soupir! Bon dimanche Thaïs.
SupprimerLe poète définit quel serait son soupir "idéal', puis en écarte d'autres, pour ne pas assombrir les esprits, et en revient finalement aux soupirs qu'il préfère, ceux d'une jeune femme en soirée, ou ceux exprimant la fatigue d'une vieille personne. J'aime le style brillant, romantique, de ce poème, José Asunción Silva a beaucoup de talent.
RépondreSupprimerMerci Colo de nous l'avoir fait découvrir, et bon dimanche
Bonjour Antoine, je me demandais si ce style poétique, si particulier, et que j'ai beaucoup aimé allait plaire à d'autres que moi:-) Tu le dis, une variété de soupirs, de l'égard pour ses lecteurs, et puis ses préférences.
SupprimerDommage qu'il soit mort si jeune, mais il a laissé de beaux poèmes et est très connu, apprécié.
Bon dimanche à toi aussi.
J'aime la "voltige" des idées et des images que le poète a mises en musique avec ce rythme syncopé. Ses soupirs ont des couleurs ! Bon dimanche, Colo.
RépondreSupprimerOui, cette voltige inattendue, les rubis et ces flots ardents de la jeunesse...un style brillante comme l'écrit Antoine.
SupprimerMerci Tania, et bon dimanche à toi aussi. Vents forts mais sans pluie aujourd'hui.
Quel travail, ce poème mérite plusieurs lectures avant de se faire une impression
RépondreSupprimermais j'ai aimé tout de suite certains vers
Des rossignols triviaux ? la communauté des rossignols va être très en colère
Tu sais, c'est souvent en traduisant que je me rends vraiment compte du travail qu'il y a dans les poèmes.
SupprimerLes rossignols, hé, hé, oui, ce sera bientôt leur rôle de chanter, pas de lire, heureusement:-)
Quel splendide et poétique éventail de soupirs !
RépondreSupprimerIl fallait que le texte soit long pour décliner tous ceux qui arrivent sous la plume du poète. Et c'est vrai, il y a soupir et soupir.
Merci pour ton généreux travail de traduction et de transmission.
Belle semaine à toi, un beso.
Tu as raison, en fait il était encore plus long, mais je crois avoir gardé l'essentiel.
SupprimerJe suis contente que tu aies trouvé beau ce texte-poème, qui raconte de petites histoires.
Merci à toi Claudie, dos besos-
Oui, une kirielle de soupirs que le poète a parfaitement su nous montrer en voix, en couleurs, en souvenirs ! On imagine tout à fait ces différents soupirs en situation !
RépondreSupprimerBelle découverte de ce poète, merci à toi et très bonne journée, ici pluvieuse et grise, soupir !
Et Mozart que j'ai écouté toujours avec autant de plaisir après avoir lu ce très beau poème !
RépondreSupprimerCe coeur qui soupire de Mozart était presque...obligé, non? Il est si beau.
SupprimerBeau soleil ici, mais un vent fou qui fait plus que soupirer!!!!
Merci Enitram.
Il est excellent ce texte poétique ; je vais le mettre de côte et le relire, une fois ne suffit pas. Et Mozart en même temps c'est un rêve .. (je suis à nouveau chauffée !). Bonne semaine Colo, bises.
RépondreSupprimerRelire au chaud sera très bien (ici pas réparé mais les températures grimpent fort, ça ira:-))
SupprimerBonne semaine à toi aussi, besos
C'est vraiment un texte splendide, quel dommage pour nous qu'il ait choisi de quitter notre monde si tôt... Merci Colo, des bises du lundi. brigitte
RépondreSupprimerTrès dommage, oui, une suite d'échecs, diplomatiques, d'affaires, puis le naufrage du bateau qui transportait tous ses livres et manuscrits l'ont plongé dans le désespoir.
SupprimerContente que tu l'aies aimé ce texte.
Bonne semaine Brigitte, un beso
Le rythme de cette écriture est très plaisant.
RépondreSupprimerSoupirs d'aise à cette lecture, avec une prédilection sur le passage très sensuel sur la jeune femme qui valse suspendue sur un soupir de l'air !
Ouf, je soupire de soulagement, tu as aimé ce texte:-)
SupprimerCe rythme m'a plu aussi, comme des respirations entre les soupirs, pas trop saccadé, plaisant comme tu dis.
À bientôt, merci de ta visite.
Magnifique poème avec pour accompagnement Mozart. Très beau à lire et à s'en imprégner. Merci Colo.
RépondreSupprimerGros bisous.
Écouter Mozart est toujours un bonheur, c'est vrai Denise!
SupprimerBonne journée, un beso
Combien de fois nous disons nous "si j'étais...." . aujourd'hui ce texte si sincère me fait regretter de ne pas savoir écrire, jouer avec la prose ou la rime.
RépondreSupprimerCe serait un rêve de pouvoir écrire ainsi, du travail aussi....Merci de ta visite Chinou
SupprimerQu'il est beau ce poème une merveille, l'auteur fait le tour de tous les styles de soupirs existants avant de revenir sur ses préférés...quelle délicatesse, quelle superbe vision des êtres qui l'entourent qui le touchent qui le rendent heureux...Et j'aime sa modestie quand il commence son poème par "si j'étais poète". Une belle découverte d'un poète mort trop jeune que je ne connaissais pas avec en prime une superbe musique de fond ! Merci
RépondreSupprimerTu as raison, loin de nommer simplement différents soupirs, il les met en scène, si joliment. Et cela nous touche évidemment.
SupprimerMerci à toi Manou.
Merci Colo pour la traduction de ce merveilleux poème, avec ce thème inattendu du soupir ; soupir qui pourtant nous accompagne tout au long de la vie : soupir de soulagement, de joie, de fatigue, de découragement, de tristesse...Et la lecture du poème accompagné par Mozart ! Un moment de beauté !
RépondreSupprimerBonjour Fifi, j'avais peur que personne ne le lise, c'est un peu long et peut sembler hâché.
SupprimerMerci pour tes mots, un beso
La fin du poème est triste et magnifique, la forme du texte y contribue. L’ensemble joliment coloré par un soupir dans l’air tiède d’une salle de bal où rosit une peau de pêche et estompé par les cheveux blancs du philosphe qui soupire au sang tari de sa jeunesse.
RépondreSupprimerMerci beaucoup.