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3 juil. 2021

Se libérer des vrilles, juillet avec Colette

 

Ce mois de juillet je pense lire quelques écrits de Colette jamais lus.


Le premier a été "Les vrilles de la vigne".


Je vous mettrai des extraits de mes lectures et, aujourd'hui, ce qui semble un simple conte prend un ton plus personnel si l'on sait qu'il a été écrit peu après sa séparation d'avec Willy. Le recueil de courts chapitres commence ainsi :


                                         https://plandejardin-jardinbiologique.com/vigne-vierge-plantation-culture.html


Les vrilles de la vigne


Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.

Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :


Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.

J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.

Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…

Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…

Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.

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NB. À partir de lundi prochain, sur France Inter (merci Dominique), à 8h55 du lundi au vendredi "Un été avec Colette": https://www.franceinter.fr/emissions/un-ete-avec-colette

Je voulais aussi vous signaler une artiste qui, fascinée par ces vrilles, en fait des bijoux:


https://tackglou.net/vrilles/

20 commentaires:

  1. Pour ma part, j'ai découvert Colette dont bien sûr je connaissais l'existence, cette année en la lisant attentivement. Et j'ai vraiment été surpris, par la qualité de son écriture, et aussi par la profondeur et la justesse de ses réflexions, et par son art du portrait.

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    1. Ce sont les mêmes réflexions que je me suis faites Kwarkito. Dans le passé j’avais lu des Claudine et Dialogues de bêtes, rien de plus.
      Une magnifique écriture aucun doute. Elle ne verse jamais dans le lyrisme tout en étant très poétique.
      Merci d’être passé, un besito

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  2. Un texte magnifique, merci, Colo - révélateur de sa belle langue rythmée et de son art de montrer les choses, de l'extérieur comme de l'intérieur. Je ne l'avais jamais lu, je ne trouve pas "Les vrilles de la vigne" parmi les Colette de ma bibliothèque - probablement parce que je vais rarement vers les nouvelles, un tort certainement en ce qui la concerne. J'ai sélectionné la fréquence de France Inter sur la radio que j'écoute le matin, j'essayerai de suivre cette émission régulièrement. (Pour info, le site des amis de Colette est une mine.)

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    1. Ces nouvelles, comme cela se faisait à l'époque, ont d'abord paru dans des journaux. Puis elle les a réunis mais en a changé l'ordre plusieurs fois, en fonction de ce qu'elle vivait, ai-je lu.
      J'espère te donner envie de lire ce recueil, suite la semaine prochaine.
      Oui, le site des amis est foisonnant.

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  3. il y a longtemps que je l'ai lu, ce livre, j'ai eu ma période Colette ;-)

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  4. Les vrilles de la vigne sont parmi mes meilleurs souvenirs de Lecture

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  5. oups j'ai cliqué trop vite
    je voulais ajouter que j'aime aussi énormément Mes apprentissages, Gigi que j'aime pour son humour, Chéri pour la tendre nostalgie, j'ai ses oeuvres complètes et c'est toujours un bonheur d'aller y piocher je te recommande aussi la bio de Michel del castillo, il n'est pas tendre avec elle et ses travers mais il admire l'écrivain

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    1. Je ne connais pas du tout Mes apprentissages, tu m'intrigues là !
      Je comptais lire Gigi aussi, et puis Michel del Castillo maintenant:)), je vais devoir abandonner le potager, les conserves et tout ça par ta faute !!!
      Merci chère amie.

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  6. "Les vrilles de la vigne", une magnifique incitation à enfin lire Colette !
    Je suis allée écouter chanter le rossignol...sur youtube pour donner corps à ce beau texte.
    Merci, Colo, Colette ♥♥♥

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    1. Bonsoir Fifi, commencer par là est une belle idée. Des nouvelles courtes, des thèmes variés, je pense que tu aimeras.
      Haha, oui, mon prénom, mais qu'y puis-je ???
      Bonne soirée Fifi

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  7. Colette me renvoie à mon année de première et à "Claudine à l'école".......c'est bien loin derriere

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    1. À relire ou redécouvrir, toi qui aimes tant la nature, tu serais ravie.

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  8. Un texte superbe, dans un style unique qui vous emporte loin, loin dans un monde onirique..
    Merci pour ce partage Colette....

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  9. Quel art de la description, on y est, on a l'impression de vivre ces scènes merveilleuses. Merci Colo, merci Colette, bises ensoleillées. brigitte

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    1. C'est vrai, ses descriptions sont précises, vivantes, pas ennuyeuses pour un sou et très visuelles ! Je passe d'excellents moments avec elle...
      Besos de chaleur estivale, on est mieux à l'ombre...

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  10. Bonsoir Colo, je viens d'écouter la première émission ce matin : très bien. Je sens que l'on va passer un bel été. Bonne soirée.

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    1. Ah oui, moi aussi, j'attends la seconde ce matin. Petites touches, très vivantes, nos matins seront bons, oui ! Bonne journée Dasola.

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