Pages

30 mars 2020

Comment ça, quand? / ¿Cómo que cuándo?


Ébène, de Ryszard Kapuscinski, journaliste polonais, a été publié en l’an 2000 mais couvre les années ‘60-80 en Afrique. Ces années d’indépendance coloniales, de soulèvements...L’auteur y a vécu longtemps , non pas dans des hôtels ou zones pour européens, mais, au risque de sa santé, de sa vie souvent, parmi la population locale.

 En début de livre il fait une longue réflexion sur le temps - le temps africain (qui a peut-être un peu varié depuis, selon les endroits) qui lui paraît si différent de l’européen - qui, en ces moments où il est comme arrêté, figé, m’a semblé très intéressante. 

Il raconte qu'à son arrivée au Ghana, il monte dans un autobus et s’y assied. Un Anglais le suit, s’installe. À ce moment, dit l’auteur, peut se produire une collision entre deux cultures, un choc, voire un conflit qui arrivera si l’étranger (s’il ne connaît pas l’Afrique) commence à s’énerver et à demander quand part l’autobus. “Quand part l’autobus? Comment ça, quand? -dit le conducteur -Quand il y aura assez de gens pour le remplir”.

Kapuscinski, poursuit en expliquant que l’Européen et l’Africain ont une conception différente du temps .
Pour les Européens “le temps vit en dehors de l’homme”, il est comme indépendant, a une existence objective qu’on peut mesurer. Et il s'en sent esclave, il doit respecter des délais, des dates, jours et heures. Comment exister sans eux?
Entre l’homme et le temps existe un conflit insoluble qui se termine toujours par la défaite de l’homme: le temps détruit l’homme.”


Les Africains perçoivent le temps différemment. C’est une catégorie beaucoup plus ouverte, élastique, subjective. Pour eux c’est l’homme qui influe sur la formation du temps, son rythme.
L’homme décide si un événement aura lieu ou non, “Le temps est le résultat de notre action, et il disparaît quand nous n’entreprenons rien ou abandonnons une action.  Une énergie circule qui, quand elle s'approche de nous et nous emplit,  nous donne la force de nous mettre en mouvement: il se passera quelque chose.
Sinon il faut attendre."

Ceci, vous voyez, est tout à fait l’inverse de la pensée européenne.

Et pour beaucoup d'entre nous en ce moment, le temps élastique que nous vivons nous rapproche, je crois, de la conception africaine.

Ébano, de Ryszard Kapuscinski, Fue publicado en el año 2000 pero cubre los año 60-80 en África. Son años de independencia colonial, de revueltas, de sublevaciones… El autor ha vivido mucho tiempo pero no en hoteles o zonas para europeos sino, con riesgo para su salud y con frecuencia para su vida, entre la población local.
Al principio del libro hace una larga reflexión sobre el tiempo. El tiempo africano (que quizás haya cambiado algo desde entonces, en algunos sitios) que le parece tan diferente del europeo y que, en estos momentos en que da la impresión de haberse parado, fijado, me ha resultado muy interesante.

Cuenta como a su llegada a Ghana sube a un autobús y se sienta. Le sigue un Inglés y se instala. En ese momento, dice el autor, puede producirse una colisión entre dos culturas, un choque, un conflicto.” Esto sucederá si el pasajero es un forastero que no conoce África. Alguien así empezara a removerse en el asiento, a mirar en todas direcciones y a preguntar: ¿Cuando arrancará el autobús? ¿Cómo que cuándo?, le contestará, asombrado, el conductor, cuando se reúna tanta gente que lo llene del todo”

Kapuscinski continúa y explica que los europeos y los africanos tienen una concepción diferente del tiempo.

Los europeos están convencidos de que el tiempo funciona independientemente del hombre, de que su existencia es objetiva, en cierto modo exterior, que se halle fuera de nosotros y que sus parámetros son medibles y lineales”...”El europeo se siente como su siervo, depende de él, es su súbdito.”… “Tiene que respetar plazos, fechas, días y horas. Se mueve dentro de los engranajes del tiempo; no puede existir fuera de ellos”… “Entre el hombre y el tiempo se produce un conflicto insalvable, conflicto que siempre acaba con la derrota del hombre: el tiempo lo aniquila.”

Los Africanos perciben el tiempo de manera bien diferente. Para ellos, el tiempo es una categoría mucho más holgada, abierta, elástica y subjetiva. Es el hombre el que influye sobre la horma del tiempo, sobre su ritmo...”
El hombre decide si un acontecimiento tendrá lugar o no. “El tiempo aparece como consecuencia de nuestros actos y desaparece si lo ignoramos o dejamos de importunarlo.” “ En alguna parte del mundo fluye y circula una energía misteriosa, la cual, si viene a buscarnos, si nos llena, nos dará la fuerza para poner en marcha el tiempo: entonces algo empezará a ocurrir.” Sino hay que esperar.

Todo esto es lo contrario del pensamiento europeo.
Y para muchos de nosotros en este momento, el tiempo elástico que vivimos nos acerca, creo yo, de la noción africana.

Sources/ Fuentes : Ébène, aventures africaines, Ryszard Kapuscinski. Coll. Poche
Ébano, Ryszard Kapuscinski, ed Anagramma

Photo 2 https://www.t13.cl/noticia/nacional/asi-quedo-reloj-flores-vina-del-mar-caida-arbol1

28 commentaires:

  1. Viña del Mar, au Chili?
    j'y suis allée, quel souvenir!
    (ah oui... le temps... le temps ne fait rien à l'affaire :-))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, au Chili, il y avait l'horloge de Genève aussi:-)
      "le temps des uns et le temps des autres" chantait Aznavour
      https://www.youtube.com/watch?v=ISSZYTPhqVo

      Supprimer
  2. Intéressante cette réflexion. Il est vrai que j'ai l'impression de toujours courir après le temps et d'être continuellement stressée en temps normal. Maintenant que je fais du télétravail, je crois que c'est encore plus compliqué d'organiser le temps.
    Je me rappelle de ce livre très intéressant de Norbert Elias "Du temps". Il y a parle du temps comme contrainte et comme construction sociale. Dans ces temps si perturbés, on a peut-être plus le temps de réfléchir au... temps. Bises alpines... de loin.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne connais pas ce livre mais ce que j'en lis ici
      https://www.fayard.fr/pluriel/du-temps-9782818503454 va tout à fait dans ce sens. Intéressant, très.
      Bon travail, reste calme surtout. Un beso

      Supprimer
  3. Très bel article Colo, et cette conception du temps africain m'a toujours séduite. Ne pas avoir un métronome dans la tête est une forme de liberté surement agaçante en Europe.
    Peut-être allons être (après), un peu moins esclave de ce timing imposé souvent source de stress.
    Je t'embrasse et te souhaite une très belle semaine...malgré tout. Claudie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Claudie. Déjà ici, et peut-être grâce à la longue occupation arabe, les habitants ne sont jamais pressés, bavardent tranquillement dans les magasins par exemple avec les clients sans se soucier de ceux qui attendent. Au début ça énerve, aucun doute, mais ils ont raison.
      TU aimerais je crois ce livre, intéressant du point de vie politique et social et si humain à la fois.
      je t'embrasse, il pleut ici, mais qu'importe. Bonne semaine à toi aussi.

      Supprimer
  4. Ta réflexion me rappelle cette réponse d'un Africain à un Européen : "Vous avez l'heure, nous avons le temps."
    J'aime beaucoup celle que tu cites : "Une énergie circule qui, quand elle s'approche de nous et nous emplit, nous donne la force de nous mettre en mouvement : il se passera quelque chose. Sinon il faut attendre."

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, espérons que l'énergie voudra bien circuler régulièrement. En attendant, et je sais que tu as ce livre en tête, je m'en vais le terminer.
      je t'embrasse Tania.

      Supprimer
  5. Un livre que j'avais noté, mais que je n'ai finalement pas lu. Quand je travaillais, j'étais souvent en contact avec une population africaine et c'est vrai que nous n'avions pas du tout la même conception du temps .. réflexion à mener pour nous en ce moment. Bonne semaine Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne peux que te recommander sa lecture, on y apprend beaucoup, un récit aisé à lire, réaliste et humain qui m'a fait beaucoup réfléchir aussi.
      Bonne semaine à toi aussi chère Aifelle.

      Supprimer
  6. C'est vrai, et c'est vrai aussi pour bien des peuplades qui ne sont pas régies par des horaires. Mon père, qui "a fait l'Afrique"(toute sa carrière au Bénin, Congo ex Belge, Burundi, Ruanda etc...) parlait toujours d'heure "bantoue". Ou de distance bantoue. Loin, ce n'était pas non plus ce que les Européens appelaient loin...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une réflexion sur le temps, sa flexibilité, sa "création" par l'Homme qui est de plus passionnantes Edmée. Je lis que ta ville est fort touchée par le virus, prudence maximale chère amie.

      Supprimer
  7. Muy interesante tu entrada de hoy, querida Colo. Debato a menudo sobre el estrés y las prisas, sobre ese ritmo de vida vertiginoso que hemos adoptado y que sin embargo tanto criticamos en el pasado. Corremos llenos de ansiedad, porque no tenemos tiempo. Corremos, pero no sabemos hacia dónde, ni porqué. Pero corremos sin aliento con esa agobiante sensación de que no llegamos. Y de repente, nos vemos obligados a parar, reflexionar y valorar. Ojalá que cuando todo esto acabe hayamos aprendido algo y seamos un poco más africanos. Ojalá que cuando todo esto acabe no nos dé por intentar recuperar el tiempo perdido. Un beso y gracias.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Gracias a ti, te reconozco! Espero que podamos debatir pronto, en vivo, de esos temas tan vitales para nuestras mentes. Como dices, hay que aprovechar este tiempo entre paréntesis para pensar.
      Un beso fuerte.

      Supprimer
  8. Les artistes des arts vivants (chanteurs, comédiens danseurs) font l'expérience de durées concomitantes. la leur d'une part, et celles qu'il traversent au cours d'une fiction ou d'une forme qu'ils déploient. Les comédiens (pour ne parler que de ce que je connais) peuvent vivre chaque soir les quelques semaines vécues dans un domaine qui doit être vendue, (la cerisaie de tchekhov) ou une année dans une datcha (la mouette) ou quatre ans de la guerre de 14 comme dans les derniers jours de l'humanité de karl Kraus. ils font alors des expériences temporelles bizarres, où le temps devient malléable et élastique au gré de l'imagination et se charge d'une densité singulière.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ces mots qui ouvrent une toute autre perspective. On peut imaginer (ou presque quand on n'est pas dans ce métier) cette distorsion du temps. Il me semble qu'il doit être compliqué, après chaque séance, de reprendre pied dans le réel et le quotidien, ce que tu appelles des "expériences temporelles bizarres".

      Supprimer
  9. Nous avons beaucoup à apprendre, et ce moment nous est donné pour combler certaines lacunes ou idées fausses de notre civilisation qui se sent si souvent - trop souvent - supérieure... Merci Colo, un nouveau titre de livre inscrit sur mon magique carnet. Bises d'un jour de printemps un peu gris au sud. brigitte

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonne lecture, tu ne le regretteras pas je crois.
      Très gris, pluvieux, venteux ici aussi.Un beso Brigitte

      Supprimer
  10. Hola ! Je repasse par ici ce matin pour dire bonjour et te suggérer la lecture du livre de Hartmut Rosa : Aliénation et accélération, sur le thème du temps, justement, son accélération dans le monde occidental, résultat de la "modernité".
    Bonne journée ! A très très vite !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Très très vite tu dis, je blague mais c'est justement ce temps rapide qui...
      Merci pour ce titre Marie, et bonne journée, poco a poco?
      je t'embrasse

      Supprimer
  11. Ton message sur mon blog m'a bien fait rire, hi!!!! Gros bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est si important de rire! Bonne journée, je t'embrasse

      Supprimer
  12. J'ai beaucoup aimé ta page, c'est vrai que la philosophie africaine sur le temps est différente de la nôtre...
    Au Népal, notre guide nous avait dit, la seule certitude c'est le départ ...on vit la route et qu'importe l'heure de l'arrivée...Même réflexion en Mongolie où de demander l'heure d'arriver pouvait "porter malheur"..."On va, on vit on verra quand on se posera"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Marie, tu as beaucoup voyagé et il est fort intéressant de mettre en parallèle la notion du temps de par le monde.
      On verra, en effet, quand on se posera...

      Supprimer
  13. Merci Colo, très intéressant. Je m'aperçois que je réfléchis souvent sur le rythme aussi.
    je peux conseiller un ouvrage, lu il y a quelques années :
    La Danse de la vie. Temps culturel, temps vécu / Edward Twitchell Hall

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, merci K, je suis allée voir ce qui est dit sur ce livre, le temps culturel est si intéressant, je vais le commander.

      Supprimer
  14. Voilà une bonne réflexion philosophique sur notre manière d'aborder l'existence, sur la subjectivité du temps que les jours actuels nous autorisent davantage.
    J'apporte ma pierre avec cette réflexion qui déplace le thème en littérature (Henning Mankell - "En Afrique, l'art d'écouter"):
    "... la littérature occidentale est linéaire; elle va d'un début à la fin sans digressions dans l'espace et le temps. Ça n'est pas le cas en Afrique. Ici, à la place d'une narration linéaire, il y a une manière débridée et exubérante de raconter une histoire qui fait du va-et-vient dans le temps et mélange le passé et le présent. Quelqu'un qui est mort il y a longtemps peut prendre place dans une conversation entre deux personnes qui sont bel et bien vivantes. Juste un exemple : les peuples nomades qui habitent dans le désert du Kalahari se racontent des histoires pendant leur quête de plantes comestibles et d'animaux à chasser. Souvent ils racontent plusieurs histoires simultanément. Parfois deux ou trois. Mais avant de retourner dans leurs campements de nuit, ils arrivent à faire converger leurs histoires ou les fragmenter afin que chacun des narrateurs offre sa fin.."
    Faites attention à vous, Colette.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Christian, la place,très vivante, des morts dans la vie et le récit est un sujet longuement abordé dans ce livre aussi. Et si éloigné de notre façon de penser et vivre.
      Sans doute, et c'est bien dommage, avons-nous perdu ce sens des récits multiples, et surtout de l'écoute des autres.
      Je fais très attention, merci mais la question est plutôt, qu'en deviendra-t-il à la longue...
      Enfin, passez une bonne journée.

      Supprimer