Rafael
Alberti (poète espagnol archiconnu, 1902-1999) se trouvait à Paris
fin des années '30, et, grâce à Supervielle, il fit la
connaissance de Chagall. Voici un extrait d'un long article publié
dans le journal El País en 1985 où il relate cette fameuse
rencontre.
Rafael
Albertí (1902-1999) se encontraba en París en los años '30 y,
gracias a Supervielle, conoció a Chagall. He aquí un extracto de un
artículo largo publicado en El País en 1985, donde relata ese
famoso encuentro.
“Quand,
accompagné du poète Jules Supervielle, j'entrai dans la maison du
peintre Marc Chagall, nous vîmes que c'était une vache qui nous
avait ouvert la porte. Une fois dedans, des vaches partout: sur les
armoires, sur les tables, sur les chaises, sur les livres...
Cuando,
acompañado por el poeta Jules Supervielle, entré en la casa del
pintor Marc Chagall, vimos que era una vaca quien nos había abierto
la puerta. Ya dentro, vacas por todas partes: sobre los armarios,
sobre las mesas, sobre las sillas, sobre los libros...
-Mais
votre studio, Chagall, est plutôt une étable. -Il faut aimer les
vaches, nous dit Chagall en allongeant son museau, sans doute parce
que sa mère s'abreuvait dans une rivière, et sa grand-mère, du
côté maternel, avait été une belle cornue, volée par les Russes
à des marchands kirghiz. Il faut beaucoup les aimer. Pour moi,
l'univers entier est peuplé par elles. Regardez, si j'ouvre une
fenêtre la nuit, je les vois sur les toits voisins, paissant la fine
herbe que l'eau courante des canaux a fait naître sur les bords. La
lune congelée de Russie est pleine de vaches. Des humbles étables
enneigées elles montent en troupeaux, vers la voie lactée et les
étoiles. Dans un hameau du Caucase, des fiancés qui dormaient
furent enlevés par l'une d'elles qui les fit monter au-delà des
nuages. C'était une vache bleue tachée de blanc avec des cornes en
forme de fer à cheval. Même les vaches me poursuivent en rêves.
J'en ai vu une qui sortait par une cheminée. Une autre dans une
ascenseur, une autre encore déjeunant tranquillement à la porte
d'un restaurant des Champs-Élysées....Oui, des vaches partout. Il
n'existe pas de personnes dans le monde. Seulement des vaches. Vous
en êtes une, votre amie une autre, moi aussi. Supervielle une autre,
ma fille une autre...
-Pero
su estudio, Chagall, es más bien un establo.-Hay que amar a las
vacas, nos dice Chagall alargando el hocico, sin duda porque su madre
abrevaba en algún río, y su abuela, por parte de la misma, había
sido una hermosa cornúpeta, robada por los rusos a unos mercaderes
kirguises. Hay que quererlas mucho. Para mí, el universo entero está
poblado de ellas. Miren, si por la noche abro una ventana, las veo
sobre los tejados vecinos, paciendo la fina yerba que ha hecho brotar
al borde el agua corriente de los canales. La luna congelada de Rusia
está llena de vacas. De los establos humildes y nevados ascienden en
manadas, camino de la vía láctea y los luceros. En una aldea del
Cáucaso, dos novios que dormían fueron raptados por una y
ascendidos hasta más allá de las nubes. Era una vaca azul manchada
de blanco y con los cuernos en forma de herradura. Hasta las vacas me
persiguen en sueños. He visto una saliendo por una chimenea. Otra
dentro de un ascensor, otra almorzando tranquilamente a la puerta de
un restaurante de los Campos Elíseos... Sí, vacas por todas partes.
No existen personas en el mundo. Sólo vacas. Usted es una, su amiga
otra, yo otra. Supervielle otra, mi hija otra... (...)”
Note
de Rafael Alberti
“Les
vaches de Chagall sont pleines d'humanité et de sagesse, car elles
connaissent le ciel, la lune et les étoiles, car elles sont
descendues par les pentes lumineuses et obscures, vertes ou sèches
de notre âme, car elles n'ignorent pas ce qui tremble au Nord, au
Sud, à l'Est et à l'Ouest, car elles nous parlent en rêve avec un
triste dodelinement de barque abandonnée(...) elles méritent nos
respects”.
”Las
vacas de Chagall están
llenas
de humanidad y sabiduría, por saber del cielo, de la luna y de las
estrellas, porque han descendido por las vertientes luminosas u
oscuras, verdes o secas de nuestra alma, porque no ignoran lo que
tiembla en el Norte, en el Sur, en el Este y en el Oeste, porque nos
hablan en el sueño con una tristeza cabeceante de barca abandonada
[...] merecen nuestros respetos.”
Traduction:
Colo